Sang noir · Jean-Luc Loyer

En mars 1906 a eu lieu en France la plus grave tragédie minière de l’histoire européenne. La catastrophe de Courrières reste à ce jour la deuxième catastrophe la plus meurtrière de tous les temps après celle survenue en avril 1942 dans la mine sino-japonaise de Liutang dans le nord-est de la Chine.

Sang noir, la catastrophe de Courrières (2013) est un roman graphique en noir et blanc dans lequel Jean-Luc Loyer (1964) revient non seulement sur la catastrophe en elle-même mais également sur le contexte socio-économique de l’époque et les conséquences de cette tragédie qui a fortement et durablement ébranlé la société française.

Le roman graphique s’ouvre sur un prologue illustrant brièvement la situation politique et socio-économique de la France en ce début de XXème siècle. En janvier 1906, Armand Fallières succède à Emile Loubet à la présidence du pays. Deux mois plus tard, un scandale politique éclate résultant en la démission de Maurice Rouvier, le chef du gouvernement. Nommé Premier Ministre, Georges Clémenceau a pour tâche principale et immédiate de mettre fin aux nombreuses grèves et émeutes qui agitent le nord de la France.

En ce début de XXème siècle, la France est en plein essor industriel. Le paysage économique national est dynamique et fort grâce à de nombreuses innovations technologiques, telles que l’apparition et le développement de l’automobile, l’aéronautique, l’électricité ou encore le cinéma. Deux régions explosent en termes de productivisme: la Lorraine, plaque tournante de la métallurgie et de la chimie françaises, et le Nord de la France, véritable fer de lance en matière de textile, d’acier et surtout de charbon. Avec ses cent vingt puits de mine et ses vingt millions de tonnes de charbon extraites annuellement, le Pas-de-Calais bat tous les records.

Au Nord, les villes se développent de façon exponentielle et la population explose autour de l’industrie charbonnière. Des communes comme Lens ou Liévin voient leur population multipliée par dix puis par quinze en à peine quelques mois. A cette époque-là, l’importante croissance de ce secteur économique permet à sa main-d’oeuvre de bénéficier de nombreux privilèges (logements très peu chers, charbon gratuit, soins médicaux, retraite etc) et travailler dans les mines est perçu comme un très grand avantage par le reste de la population ouvrière française. Mais il y a bien sûr un revers de la médaille.

La demande accrue de charbon provoque en effet une logique productiviste néfaste et surtout très dangereuse : il faut produire plus et plus vite. Toujours plus et toujours plus vite. Les employeurs recrutent à tour de bras en ignorant royalement les nouvelles lois votées quelques années auparavant ayant permis de garantir une amélioration significative des conditions de travail (responsabilité des patrons en cas d’accident, abaissement de la durée du temps de travail quotidienne, hygiène, etc.). Les conditions de travail se dégradent de plus en plus et la qualité de la main-d’oeuvre n’importe plus. Des garçons et des filles sont engagées dès douze ans, la mécanisation est restreinte pour des raisons de coûts, les accidents dus aux coups de poussière et de grisou se multiplient et la silicose fait des ravages.

C’est dans ce contexte social tendu et dégradé que le 10 mars 1906 vers 6h30 se produit une explosion d’une force inouïe dans la fosse 3 à Méricourt dans le Pas-de-Calais. En quelques secondes à peine, les flammes se propagent sur plus de cent kilomètres de galeries jusqu’à la fosse 2 à Billy-Montigny et la fosse 4 à Sallaumines, ravageant tout sur son passage. Des 1697 mineurs descendus travailler ce matin-là, 1099 mourront. Dont 242 enfants.

En remontant le temps de façon chronologique, Jean-Luc Loyer évoque la détérioration des conditions de travail tout en montrant que la catastrophe aurait peut-être pu être évitée si la Compagnie des mines de Courrières en charge de l’exploitation des trois sites avait pris au sérieux les nombreux avertissements faisant état de dysfonctionnement dans certains puits. Face à l’ampleur de la tragédie, la logique productiviste irresponsable de la Compagnie des mines et sa volonté affichée de se dégager de ses responsabilité, la révolte gronde. Dès le lendemain des obsèques, une grève massive est déclarée dans tout le bassin minier. Elle durera cinquante et un jours.

L’éditorial de Jean Jaurès paru dans L’Humanité du 11 mars 1906, cinq pages énumérant les noms des 1099 victimes, quelques photos d’archives et un lexique contenant également quelques explications des termes spécifiques au domaine minier viennent compléter Sang noir.

Bien que les planches m’aient semblé bien sombres (mais c’était le but je suppose et dans ce cas, c’est effectivement réussi) et les dessins pas particulièrement attractifs et que j’ai parfois eu un peu de mal à reconnaître et distinguer les mineurs entre eux, j’ai grandement apprécié le contexte historique et social autour de l’industrie minière, la justice sociale et les luttes syndicales. Un roman graphique très intéressant, instructif et bien documenté.

Note : 4 sur 5.
Futuropolis, mars 2013.
136 pages



© Angela from Pixabay

« Mondes du travail » : 6ème lecture.

12 réflexions au sujet de “Sang noir · Jean-Luc Loyer”

  1. il ne faut jamais oublier cette tragédie, je trouve que ton billet la raconte très bien. Je préférerais lire un livre qu’un roman graphique.

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  2. Merci pour cette proposition très intéressante qui remet en avant ce drame après tout relativement récent… j’ai de mon côté un livre documentaire sur le coup de grisou de Fouquières-lès-Lens qui a fait 16 morts, en 1970. J’ai prévu de le lire pour l’activité aussi..

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    1. Ce n’est pas faute d’avoir entendu le nom de cette catastrophe, mais je ne connais pas son histoire. Une BD sera parfaite pour moi, surtout si elle est aussi complète sur le contexte.

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  3. Pas très fan du graphisme non plus mais c’est le genre de BD qui reste très intéressant pour le contexte historique et social autour de l’industrie minière et les luttes syndicales de l’époque en effet.

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  4. Tant de morts alors qu’un nombre non négligeable aurait pu être sauvé si on avait pas privilégié la protection des installations et donc les intérêts financiers ! La grève et les protestations qui ont suivi la catastrophe ont fait encore d’autres victimes… et toujours dans le même camp ! C’est terrible.

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