Si je préfère généralement lire en allemand les auteurs germanophones, je n’ai pas résisté à la réédition en français de Les enfants Oppermann (2023), un classique de la littérature allemande traduit en français en 1934 et introuvable en France depuis la Seconde Guerre mondiale.
Lorsque Les enfants Oppermann parut en allemand en octobre 1933, le dramaturge, scénariste et auteur de romans historiques juif allemand Lion Feuchtwanger (1884-1958) vivait déjà en exil dans le sud de la France, déchu de tous ses biens et de sa nationalité. Avec ce roman écrit en temps réel basé sur son expérience et de nombreux témoignages, il espérait « informer le plus rapidement possible ses lecteurs du vrai visage et des dangers de la domination des nazis. »
Dans ce roman visionnaire d’une lucidité glaçante, il analyse la chute de la République de Weimar et la montée en puissance des Völkisch à travers le récit minutieux du quotidien d’une famille juive bourgeoise de Berlin.
Les enfants Oppermann, ce sont Gustav, Martin, Edgar et Klara. Gustav, l’aîné, fête ses cinquante ans au début du roman, en novembre 1932. Bibliophile éclairé et apprécié, célibataire, propriétaire d’une grande maison, détenteur d’un solide compte en banque et d’une part substantielle dans la très florissante entreprise de meubles familiale, Gustav se distingue en tous points de son frère Martin, un homme « tout en réserve et dignité », un père de famille et un homme d’affaires ayant repris seul la succession de l’entreprise créée par leur grand-père Immanuel. Quant à Edgar, c’est un éminent médecin « ni juif, ni chrétien, ni sémite, ni aryen, c’était un scientifique, un laryngologue, tellement maître de son sujet qu’il ne manifestait pas plus de mépris que de colère ou de pitié à l’égard des théoriciens des races. » Klara, enfin, est une femme au foyer énergique et réfléchie mariée à un Juif de l’Est, une sioniste convaincue voulant s’installer en Palestine.
Si grâce à la standardisation des produits fabriqués pour la petite bourgeoisie à des prix avantageux, l’affaire familiale fut longtemps synonyme d’immense succès commercial tout en suscitant envie et jalousie auprès de la concurrence, en ces temps d’antisémitisme croissant, il devient de plus en plus difficile pour la fratrie Oppermann de gérer dignement cet héritage.
En trois parties intitulées Hier, Aujourd’hui et Demain, Lion Feuchtwanger retranscrit brillamment le climat et l’atmosphère à l’oeuvre dans un pays basculant lentement mais sûrement dans la barbarie. Le choc de la nomination d’Hitler au poste de chancelier puis des législatives est brutal pour celles et ceux qui, convaincus, pensaient qu’un « peuple parvenu à ce haut niveau technique et industriel ne tomberait pas du jour au lendemain dans la barbarie. » La douce indifférence et l’incrédulité des premiers temps laissent peu à peu la place au choc, à la paralysie puis à l’horreur absolue.
Un grand roman. A lire.
Lecture commune avec Patrice de Et si on bouquinait?

Die Geschwister Oppermann (1933)
Traduit de l’Allemand
par Dominique Petit
Photo © Pixabay
Je suis très surprise par cette découverte à propos de ce roman. J’ai toujours cru que c’était un livre pour enfants… Honte à moi !
Tu me donnes envie de le lire. Apparemment il montre que, malheureusement, aucune société n’est à l’abri d’une menace qui me semble bien actuelle …
LamartineOrzo
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Entre l’avis de Patrice et le tien, impossible de ne pas le noter. C’est une bonne idée pour le Mois allemand ou les lectures de l’Holocauste..
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Très belle chronique ! Si je n’avais pas déjà lu le livre, je le lirais immédiatement :-). Oui, quelle lucidité dans ce livre. Merci pour cette lecture commune !
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