L’effacement · Mayyu Ali & Emilie Lopes

L’année 2023 s’achève pour moi sur un témoignage très difficile mais nécessaire.

L’effacement, Un poète au coeur du génocide des Rohingyas (2022) est un récit glaçant dans lequel le poète, activiste et enseignant rohingya Mayyu Ali (1991), en collaboration avec la reporter française spécialiste de la Birmanie Emilie Lopes, dénonce la persécution et les massacres des Rohingyas en Birmanie.

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Minorité ethnique musulmane parmi les plus persécutées au monde, les Rohingyas sont en très grande partie établis dans la province d’Arakan (en brun sur la carte), une région rurale frontalière avec le Bangladesh parmi les plus pauvres de Birmanie et l’une des zones les plus isolées au monde séparée du reste du pays par une chaîne de montagnes. Les gens y ont longtemps vécu de pêche et d’agriculture, sans électricité ni eau potable. Les rares infrastructures publiques telles que les hôpitaux et les écoles se trouvaient dans les villes principales et la seule université de la province se trouvait à Sittwe, la capitale de l’Arakan.

« Je suis né rohingya. Comme tous mes ancêtres qui ont foulé cette terre. Ce mot définit ma religion, mon ethnie, mon appartenance, ce que je suis finalement. Il me condamne aussi, faisant de moi un enfant sans certificat de naissance, un homme sans citoyenneté, un être humain sans droit. »

Le quotidien des Rohingyas a profondément et irrévocablement changé depuis le coup d’état et l’arrivée au pouvoir du dictateur Ne Win en 1962. Avec la révolution culturelle mise en place par ce dernier pour « bamariser » la Birmanie, l’ethnie majoritaire des Bamars, de confession bouddhiste et de langue birmane, devient LA référence, marginalisant de fait toutes les autres ethnies et plus particulièrement les 4% de musulmans de Birmanie qui seront de plus en plus durement réprimés au fil des ans.

En 1978, les meurtres et viols de masse perpétrés à l’encontre des Rohingyas dans le nord de l’Arakan marquent le début de leur génocide. Une première vague de 200’000 (!) personnes fuit la région pour se réfugier au Bangladesh voisin. En 1982, la Loi sur la citoyenneté exclut légalement les Rohingyas des 135 ethnies reconnues en Birmanie, faisant de ces derniers la plus grande communauté d’apatrides au monde. En 1992, la junte militaire met en place une force de sécurité devant lutter contre l’immigration clandestine, la Nasaka. Dès ce jour, elle refuse d’enregistrer les nouvelles naissances des musulmans. Mayyu Ali n’a ainsi jamais pu recevoir de certificat de naissance.

Depuis des décennies, les terres des Rohingyas sont brûlées, les villages rasés, les mosquées détruites, les femmes et les fillettes violées, les hommes assassinés. En 2017, des opérations de nettoyage ethnique ont chassé de chez eux et forcé à l’exil près de 740’000 (!) personnes. Comme tant d’autres avant elles, elles ont trouvé « refuge » au Bangladesh voisin, à Kutupalong, le plus grand camp de réfugiés au monde dans lequel les Rohingyas survivent derrière les barbelés dans des conditions déplorables, dépendant entièrement d’une aide humanitaire très largement insuffisante voire carrément inexistante selon les périodes. Depuis 2009, le gouvernement bangladais ne délivre plus de permis de sortie aux réfugiés. Mayyu Ali est le premier Rohingya à en avoir obtenu un.

Ayant fait l’objet de menaces de mort pour avoir dénoncé les crimes commis dans les camps de réfugiés au Bangladesh où il a longtemps (sur)vécu, Mayyu Ali a dû vivre dans la clandestinité avant de pouvoir se rendre officiellement au Canada où il vit aujourd’hui en tant que réfugié avec sa femme et sa fille. Poète passionné et engagé, il n’a et n’aura jamais de cesse de dénoncer les exactions commises contre son peuple et d’alerter la communauté internationale sur les crimes contre l’humanité perpétrés dans son pays natal.

Depuis le coup d’Etat militaire de février 2021, les minorités ethniques semblent très paradoxalement enfin bénéficier d’un début de reconnaissance officielle. Le nouveau gouvernement d’unité nationale (NUG) composé d’anciens députés de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi créé pour contrer la junte au pouvoir s’engage en effet à ce que les auteurs des crimes commis contre les Rohingyas soient jugés. Si ces déclarations représentent un premier pas très positif pour les minorités dont les espoirs immenses ont été gravement déçus par la trahison de l’ancienne Prix Nobel de la Paix lorsqu’elle était de facto la cheffe du gouvernement birman entre 2016 et 2021, il reste encore énormément à faire. Les tortionnaires sont toujours libres et l’impunité doit cesser. Par ailleurs, plus d’un million de Rohingyas (sur)vivent aujourd’hui encore dans divers camps de réfugiés à l’étranger et attendent de pouvoir rentrer chez eux, dans un pays qu’ils espèrent voir enfin dirigé par un gouvernement démocratique reconnaissant pleinement « leur identité, leur droit à la citoyenneté, à l’inclusion politique et à l’égalité de traitement. »

Il y aurait encore tant à dire sur ce témoignage qui m’a véritablement glacé le sang et retourné l’estomac et le coeur…

Une lecture difficile certes mais absolument nécessaire. A lire.

Grasset, février 2022, 263 pages.


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Une réflexion sur “L’effacement · Mayyu Ali & Emilie Lopes”

  1. Et on lit partout, on entend partout que le bouddhisme est une religion de paix !!! Ce génocide ( un de plus) aucun media n’en parle. Mais quand donc ces tragédies cesseront-elles ? Je n’ai plus aucune foi dans l’humanité. L’homme est un loup pour l’homme…

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