Un travail comme un autre · Virginia Reeves

J’ai repéré ce roman lors d’une virée dans ma brocante fétiche l’année dernière et comme je ne résiste que difficilement à un rural noir américain, il est reparti avec moi.

Avec Un travail comme un autre (2016), l’autrice américaine Virginia Reeves nous plonge de façon très convaincante dans l’Alabama profond du début des années 1920 et signe un premier roman poignant autour d’un accident tragique aux conséquences dévastatrices.

« On naît avec quelque chose dans les veines, pour mon père c’était le charbon, pour Marie, c’est la ferme, pour moi un puissant courant électrique. »

Depuis qu’il a vu pour la première fois des réverbères électriques à Birmingham, Roscoe T Martin est fasciné par le mystère de l’électricité. Lorsqu’il découvre les travaux de Michael Faraday (1791-1867), il réalise qu’il ne s’agit pas de magie mais de science et s’attache dès lors, tout en travaillant aux côtés de son père à la mine, à étudier et comprendre les nombreuses expériences du physicien et chimiste britannique. Un monde empli de promesses et de nouvelles possibilités s’ouvre alors progressivement à lui. Après de longues années passées à travailler dans la mine de son père, Roscoe décide de s’affranchir du destin auquel il semblait voué et entame une prometteuse carrière d’électricien à Alabama Power. Malheureusement, le conte de fée est de courte durée.

Lorsque son beau-père meurt et lègue à sa fille la ferme familiale, Roscoe n’a pas réellement d’autre choix que d’abandonner son emploi de rêve et sa vie confortable à la ville pour suivre sa femme Marie au fin fond de l’Alabama où il est doit reprendre la gestion de la ferme paternelle. Or, Roscoe ne connaît strictement rien à la vie -aussi insipide qu’ingrate- de fermier et la perspective du dur labeur quotidien qui l’attend est tout sauf motivante. Sans surprise, la ferme se révèle rapidement non rentable d’autant plus que la totalité des tâches agricoles doit être effectuée manuellement, les zones rurales n’étant pas encore électrifiées au début des années 1920 en Alabama.

Désespéré par cette nouvelle vie de laquelle il ne retire aucun plaisir, Roscoe décide un beau jour de revenir à ses premières amours en mettant à profit ses excellentes connaissances et compétences en électricité pour détourner le courant et raccorder illégalement la ferme familiale au réseau électrique d’Alabama Power. Un élément positif, enfin ! Pendant deux ans, la vie est douce. Non seulement la ferme engendre d’énormes bénéfices mais les tensions entre Roscoe et Marie semblent s’être enfin dissipées. Malheureusement, ce nouveau conte de fée n’est pas non plus fait pour durer. En effet, lors d’un contrôle de routine, un employé d’Alabama Power décède, électrocuté, après avoir tenté de démonter le transformateur électrique installé par Roscoe avec l’aide de l’un de ses employés noirs, Wilson. Débute alors pour les deux hommes une longue descente aux enfers.

En alternant les chapitres consacrés à la vie de Roscoe jusqu’au drame et ceux consacrés à ses longues années au pénitentiaire, Virginia Reeves aborde diverses thématiques sociales qu’elle exploite avec finesse. Tout en décrivant de façon très minutieuse le quotidien dans un pénitencier américain dans les années 1920, elle aborde également (même si de façon plus discrète) les questions du racisme et de la ségrégation raciale à travers la condamnation nettement plus difficile et injuste de Wilson.

Condamnés loués, entre 1900 et 1906. © Bibliothèque du Congrès / Wkipedia

Note : Jusqu’à ce que le Convict Leasing System (sytème de location de prisonniers) pratiqué depuis la fin de la Guerre de Sécession dans les Etats du sud des Etats-Unis soit aboli en 1928 (l’Alabama fut d’ailleurs le dernier Etat à abolir cette forme de condamnation), les détenus noirs servaient en effet de force de travail gratuite et corvéable à merci, notamment dans les mines où ils s’abîmaient gravement la santé et perdaient parfois la vie.

Virginia Reeves évoque également la question de la peine de mort et les passages consacrés à Yellow Mamma, la chaise électrique peinte en jaune que le menuisier et compagnon de cellule de Roscoe a été sommé de fabriquer, sont glaçants.

Enfin, l’autrice a su créer une petite galerie de personnages divers mais à la psychologie finement analysée, des personnages accablés par une même déception et profonde tristesse. Un travail comme un autre est un roman sombre sur la fin d’un mariage, sur le poids infini des regrets et sur la rédemption impossible. Quelques brefs mais magnifiques passages laissent toutefois entrevoir la possibilité du pardon et de la résilience…

(PS. Un travail comme un autre a été adapté en bande dessinée en 2020).

Note : 4 sur 5.
Stock, août 2016.
326 pages.

Work Like Any Other (2016)

Traduit de l’anglais (USA)
par Carine Chichereau



© Pixabay

Lecture commune avec Patrice.

17 commentaires sur “Un travail comme un autre · Virginia Reeves”

  1. Ce roman semble d’une grande richesse par les thèmes qu’il aborde. Je l’avais noté une première fois pour mon challenge 50 états, 50 romans.

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  2. J’avais assisté à une rencontre avec l’autrice à un festival America. Son livre venait de sortir, je l’ai trouvée très intéressante, mais je n’ai pas encore trouvé le moyen de le lire. Je ne désespère de lui faire une place un jour.

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  3. Amérique des années 20, racisme, ségrégation, beaucoup de thèmes qui me parlent ici. Je ne connaissais pas cette autrice, mais je vais y regarder de plus près.

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    1. Les questions du racisme et de la ségrégation raciale ne sont pas au centre du roman mais jouent malgré tout un certain rôle. C’est un premier roman vraiment réussi et prometteur, relativement lent par contre (je préfère te le signaler car il me semble que tu n’adhères pas forcément…).

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  4. Avec quelques jours de retard, encore merci pour cette LC. Je vois en effet que nos avis se rejoignent. C’est un roman riche qui, par un drame personnel, nous fait rentrer dans cette société américaine des années 20 qui, par certains côtés (notamment le statut des détenus noirs), interpelle vraiment.

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