En parcourant le catalogue de ma bibliothèque à la recherche d’une lecture se déroulant au Laos pour participer au rendez-vous autour des littératures de l’Asie du Sud-Est, je suis tombée sur Loo Hui Phang dont j’ai emprunté le premier roman ainsi que l’une de ses nombreuses bandes dessinées. Si rien ne m’a plu dans la BD, j’ai en revanche beaucoup aimé son roman.
Tout comme la narratrice de L’imprudence (2019), la scénariste, réalisatrice et romancière française Loo Hui Phang (1974) est née au Laos d’un père chinois et d’une mère vietnamienne et a grandi à Cherbourg avant de quitter la Normandie pour tenter sa chance à Paris. Dans son premier très court mais non moins intense et riche roman elle explore les thèmes de l’exil et de l’identité, de la liberté, du désir et du rapport au corps à travers le parcours d’une jeune photographe française d’origine vietnamienne contrainte, en retournant pour quelques semaines dans son pays natal, de se confronter à ses racines et à son histoire familiale.
« Je ne veux pas d’un gentil mari que nos parents auraient choisi pour moi, aussi vietnamien et sérieux soit-il. Un seul corps pour toute une vie. Un métier pragmatique. Un rassurant immobilisme. Eux sont convaincus du bien-fondé de cette équation, exportée du Laos de leur jeunesse. Ils n’ont jamais songé que cette formule, déplacée sur un autre continent, quatre décennies plus tard, pouvait nous rendre profondément malheureux. »
La jeune narratrice de vingt-trois ans a fui Cherbourg dès ses dix-huit ans pour éviter que ses parents ne décident pour elle et lui imposent un avenir aussi ennuyeux qu’étriqué dont elle ne voulait en aucun cas. A Paris, elle vit dans l’instinct et dans l’urgence, forte de sa jeunesse, de sa liberté et de son anti-conformisme. Elle travaille en tant qu’assistante d’un photographe -une simple occupation, un loisir, un caprice aux yeux de ses parents, tout sauf un vrai métier-, et assouvit sans aucune honte son désir immense pour les corps des hommes. Si elle assume sa vie et ses choix, elle ne peut s’empêcher de mentir par omission à sa famille pour laquelle « le plaisir est forcément coupable, la liberté insolente ».
Lorsqu’un appel en provenance du Laos vient déranger la routine de l’une de ses visites mensuelles à ses parents, sa vie et son insouciance en sont bouleversées. Un retour au Laos avec sa mère et son frère aîné à l’occasion des funérailles de sa grand-mère maternelle s’impose et sera à l’origine d’un cheminement intime et d’un retour aux racines familiales.
Ecrit tantôt à la première, tantôt à la deuxième personne du singulier, L’imprudence est un roman à la fois introspectif, une réflexion sur l’exil, le déracinement et la quête identitaire et un retour aux sources. La narratrice s’adresse régulièrement à son frère aîné avec lequel elle ne s’entend pas bien et avec lequel elle peine à communiquer, un frère perturbé dans son identité culturelle et vivant quelque peu en marge de la société française dans laquelle il ne semble plus trouver sa place. Si la narratrice n’avait que quelques mois à son arrivée en France, son frère est resté marqué par les dix premières années de sa vie au Laos. La séparation d’avec sa grand-mère adorée a été un véritable cataclysme émotionnel, une profonde déchirure de laquelle il ne semble s’être jamais vraiment remis. A trente-trois ans, après un licenciement pour raisons économiques, une dépression et sa rupture avec une Française, il se retrouve désoeuvré, sans emploi, et est retourné vivre chez papa et maman où il passe ses journées enfermé dans sa chambre à jouer à des jeux vidéos et fumer des joints.
En retournant dans son pays natal, la narratrice découvre des pans inconnus de son histoire familiale lui permettant de trouver des points d’ancrage entre sa vie, son imprudence, et celle de ses grands-parents ayant quitté le Vietnam pour le Laos pendant la colonisation française.
« Sa ténacité à double tranchant nous a sauvés un temps, elle nous a broyés ensuite. Toute son énergie a oeuvré pour une chose: la sauvegarde des dogmes ancestraux, de la figure pyramidale. Malgré la colère, les luttes, les stratégies de survie que sa rigueur a suscitées en moi, je ne peux lui reprocher cet acharnement. Car j’y puise le matériau de ma propre résistance. Les régimes autoritaires sécrètent en leur sein les armes de leur contestation. C’est l’histoire de notre famille. C’est l’histoire du Laos. »
Malgré son format très court -tout juste cent quarante pages-, L’imprudence est un roman riche, fort et émouvant. Une belle découverte!

140 pages
© Laurentiu / Pixabay

chez Sunalee : 3ème lecture
Le sujet des retours aux origines est souvent un peu trop rebattu à mon goût, mais j’avoue que les extraits que tu cites m’ont « accrochée ». Je note !
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Il a l’avantage d’être court et de se lire vite mais il n’est pas dénué de réflexions intéressantes, notamment sur les différentes façons de résister (contre l’oppression, les schémas culturels, la culture dominante). Le roman étant vraiment court je n’ai volontairement pas développé ce point de peur de trop en dire.
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Je l’avais commencé et j’ai été exaspérée par le personnage principal, que j’ai trouvé très irritante, très parisienne, sans doute parce que complètement différente de moi avec ses clopes et son besoin de sexe permanent. J’aurais peut-être du persévérer dans ma lecture…
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Haha oui je vois parfaitement ce que tu veux dire, je me suis fait la même réflexion que toi et un « ça promet » m’a d’ailleurs échappé dès la première page, c’est dire! Effectivement, la narratrice n’est pas des plus attachantes, on est bien d’accord, mais le roman reste selon moi vraiment intéressant dans la mesure où il ne se focalise pas uniquement sur la narratrice mais livre également des explications sur « l’imprudence » de ses grands-parents, leur résistance, leur courage et leur grande soif de liberté.
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Je n’ai pas réussi à aller jusque là, et c’est sans doute la partie intéressante.
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Je suis tentée par ce roman mais surtout parce qu’il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui parlent du Laos. Je viens de voir le commentaire de Sunalee (et ta réponse) sur le personnage principal et cela me fait hésiter. Le livre est court donc ça se tente peut-être…
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si ce roman croise ma route je me souviendrai qu’il faut tenir bon et aller plus loin que les premières pages
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Je l’avais repéré, mais j’ai été freinée par des avis qui allaient dans le sens de celui de Sunalee. Les thématiques me parlent beaucoup pourtant. Je le tenterai peut-être quand même. On ne lit pas tous les jours sur le Laos et le roman est court.
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