Terrible vertu est une biographie romancée captivante inspirée de la vie et des luttes de l’activiste anarchiste et féministe américaine Margaret Sanger.
Dans Terrible vertu (2019), son sixième roman et le premier traduit en français, Ellen Feldman restitue sur près d’un demi siècle la vie tumultueuse, les convictions et les combats de l’une des figures américaines les plus importantes et les plus controversées du XXème siècle.
Margaret Sanger (1879-1966) est née dans l’Etat de New York au sein d’une famille pauvre d’origine irlandaise et a grandi entourée de douze frères et soeurs. Affectée par un perpétuel sentiment de solitude et profondément révoltée par le gouffre béant existant entre les femmes chics des collines et sa mère, une femme grise éternellement fatiguée, prématurément vieillie et irrémédiablement usée par dix-huit grossesses, Margaret s’est forgée très jeune une opinion radicale sur ce que devait, ou ne devait pas être, la vie des femmes.
Après des études d’infirmière financées grâce à deux de ses soeurs, Margaret Sanger écume inlassablement les taudis pour travailler aux côtés des femmes brisées par des grossesses multiples et non désirées, des fausses couches ou encore des avortements illégaux et sauvages.
« J’avais connu la pauvreté au pied de ma colline, mais ceci était un enfer plus primitif, une jungle où les hommes s’épuisaient pour cinq cents par jour, puis rentraient et expulsaient leurs frustrations à coups de gueule, à coups de poing, à coups de reins; où les femmes grondaient, maudissaient et frappaient les enfants dont la mise au monde les avait fait souffrir et frôler la mort […]. »
Parallèlement à son travail d’infirmière, Margaret donne des conférences, écrit une série d’articles pour le quotidien socialiste new yorkais The Call et finit par créer, en 1914, la revue The Woman Rebel. Mais vient le moment où, fatiguée de se consacrer à « traiter les symptômes de la maladie », elle décide de se vouer entièrement à la prévention, faisant du contrôle des naissances et de l’accès à la contraception le combat de sa vie.
« Je libérerais les femmes de leurs entraves biologiques. Je délierais l’amour de ses conséquences. Et je veillerais à ce que tout enfant arrivant dans ce monde fût désiré et choyé. »
Bien qu’Ellen Feldman survole parfois un peu trop rapidement certains événements (j’aurais adoré lire une cinquantaine voire une centaine de pages de plus!) et qu’on puisse s’interroger sur l’usage de la première personne du singulier, Terrible vertu reste une auto fiction passionnante dans laquelle sont également brièvement et ponctuellement exposés les points de vue de certains proches de Margaret qui permettent d’éclairer différemment certains aspects de sa vie.
Bien qu’elle se soit mariée et ait eu trois enfants avant de divorcer et de se remarier, Margaret Sanger était une femme avant tout. Une femme « dévouée mais jamais docile », une femme sexuellement libérée revendiquant haut et fort son droit à disposer de son corps comme elle l’entend. Furieusement déterminée à ne jamais laisser quiconque entraver sa liberté, elle a sacrifié une partie de sa vie de famille à la cause. Mais à quel prix? Certains remords la poursuivront jusqu’à la fin de sa vie.
Margaret Sanger était une femme forte et déterminée qui, malgré les insultes, les intimidations et les menaces, n’a jamais cessé de s’indigner et de se battre contre les injustices en tous genres. Le temps a passé depuis qu’en 1918 elle a dû fuir en Europe sous peine d’être condamnée à quarante-cinq ans de prison pour avoir transmis des informations illégales sur la contraception. Le temps a passé depuis qu’elle a ouvert la première clinique clandestine de contrôle des naissances aux Etats-Unis. Le temps a passé et depuis, le planning familial a été créé et la pilule contraceptive légalisée. En 1960, Margaret Sanger a finalement remporté son combat.
Terrible vertu est un roman à lire pour ne pas oublier le combat de toutes celles qui ont oeuvré pour que soit enfin reconnu aux femmes le droit de disposer librement de leurs corps. A lire aussi pour ne pas oublier et minimiser le fait que soixante ans plus tard, ce même droit fait encore et toujours ponctuellement l’objet de virulentes attaques à travers le monde.

Terrible Virtue, 2016.
Trad. Valérie Le Plouhinec