Je ne connaissais pas du tout Ahmed Tiab mais en tombant sur Vingt stations, j’ai senti que ce roman était fait pour moi. Et j’ai eu raison.
Auteur d’une série de romans policiers consacrés au commissaire oranais Kémal Fadil, Ahmed Tiab (1965) signe avec Vingt stations (2021) un roman indépendant centré sur la vie d’un homme pris dans les tourments de l’Histoire algérienne de la fin du XXème siècle.
« A toutes les victimes de la décennie noire. Aux femmes et aux hommes assassinés pour avoir résisté à l’obscurantisme par la culture et la lumière. »
Vingt stations est un roman engagé inspiré de faits réels dans lequel Ahmed Tiab revient, à travers notamment l’histoire d’un amour interdit, sur la terrible Guerre civile ayant opposé divers groupes islamistes au gouvernement algérien entre décembre 1991 et février 2002.
Un homme sur le qui-vive monte au hasard à bord d’un tram pour un voyage sans destination précise. S’il apparaît dès les premières lignes que quelque chose de grave s’est produit, il faudra attendre les dernières pages pour en connaître la nature et les raisons. Dans l’attente du dénouement, nous allons accompagner cet homme avachi dans un état second sur un siège près de la fenêtre dans un long et intense voyage à travers l’espace et le temps.
Au gré des stations qui défilent, au fil des heures qui s’égrènent, cet homme -le narrateur- partage malgré lui son petit espace vital avec de nombreux passagers issus des diverses strates de la société algérienne qu’il ne peut s’empêcher d’observer alors qu’il n’aspire qu’à la solitude et à l’oubli. Avec surprise, il constate également l’immense étendue de la ville et découvre des quartiers et des zones suburbaines qui lui étaient jusqu’alors inconnus. Toutes ces considérations sont à l’origine d’intéressantes remarques sur les réalités socio-économiques et politiques de la société dans laquelle il (sur)vit.
Le narrateur se révèle être un homme seul, solitaire, un homme profondément meurtri depuis l’enfance et aujourd’hui encore -peut-être plus que jamais- tourmenté par les fantômes du passé. Au voyage spatial s’ajoute dès lors un voyage temporel. Au gré des stations qui défilent, au fil des heures qui s’égrènent, nous plongeons ainsi dans son passé douloureux, depuis son enfance difficile au sein d’une famille instable dans laquelle régnaient l’irrespect et la violence jusqu’aux événements récents qui ont fait basculer sa vie à tout jamais.
Avec sensibilité, Ahmed Tiab raconte un homme. Un enfant mal-aimé devenu un adulte aimé et aimant mais traumatisé à jamais par l’impunité régnant dans un pays ayant sombré dans le chaos de la guerre et de l’extrémisme religieux. Il raconte l’enfance difficile et les violences intra-familiales, l’espoir d’une vie plus douce grâce à l’amour, même s’il est interdit. Avec lucidité, Ahmed Tiab raconte un pays. La guerre et son lot d’horreurs, le fanatisme religieux, l’inacceptable impunité et la paix illusoire. Il évoque le devoir de mémoire et la nécessité absolue de rechercher la vérité et de rendre la justice, étapes essentielles dans tout processus de paix sans lesquelles toute réconciliation nationale est impossible.
Après L’art de perdre (2017) d’Alice Zeniter et plus récemment Le tailleur de Relizane (2020) d’Olivia Elkaim ou encore La discrétion (2020) de Faïza Guène qui abordaient, entre autres, les questions douloureuses du déracinement et de l’exil en relation avec la Guerre d’Algérie, j’ai été ravie de découvrir l’univers très intéressant d’Ahmed Tiab, son regard sensible et sa plume ciselée.
Vingt stations fut une très belle découverte et une plongée originale dans un pan plus récent de l’histoire algérienne. A découvrir.
