Stöld · Ann-Helén Laestadius

J’ai eu le grand bonheur de vivre quelques jours inoubliables dans l’extrême nord de la Suède en août 2018. Ces journées passées à randonner au coeur d’une nature sauvage encore largement préservée de l’intrusion humaine, dans la solitude et le silence absolus, comptent parmi mes plus beaux et intenses souvenirs de voyage. Comment dès lors ne pas plonger dans un roman écrit par une autrice originaire de la région?

La journaliste sámie suédoise Ann-Helén Laestadius (1971) signe avec Stöld (2022) un premier roman très personnel largement inspiré de faits réels. A travers l’histoire d’une famille d’éleveurs de rennes vivant dans la région de Jokkmokk, un village situé à quelques kilomètres du cercle polaire arctique, elle dépeint les conditions de vie des Sámis* dont le quotidien est encore et toujours marqué par les injustices perpétrées à leur encontre par les représentants de la culture suédoise dominante.

Stöld débute avec la mise à mort violente d’un faon appartenant à Elsa, une petite fille sámie âgée de tout juste neuf ans. Cette mise à mort est d’autant plus brutale qu’il s’agit d’un acte volontairement cruel et parfaitement illicite commis par un Suédois du village voisin connu de tous comme étant un raciste notoire. Cet acte traumatisant dont elle est le témoin malgré elle la marquera au fer rouge pendant des années, non seulement en raison de son caractère particulièrement cruel et des menaces qui ont suivi mais également et surtout en raison de l’indifférence crasse qu’il a suscité auprès de la police qui a, comme d’habitude, tout naturellement classé cet acte comme relevant d’un simple vol, un « stöld » (en sámi).

Ann-Helén Laestadius s’est basée sur des centaines de plaintes de ce genre déposées au fil des ans par les éleveurs de rennes de la région pour attirer l’attention sur les injustices qui perdurent jusqu’à ce jour dans le Sápmi.

« Je crois qu’il faut être éleveur pour comprendre. C’est une grande souffrance. (Sa voix se brisa et elle se racla la gorge.) Les rennes sont notre raison d’être. Nous travaillons avec les rennes, ils font partie de nos vies. De voir que personne n’intervient quand nos animaux se font assassiner, eh bien… »

En quatre-vingt six chapitres numérotés en sámi découpés en deux parties distinctes séparées de dix ans, l’autrice brosse le portrait d’une communauté vulnérable et fragilisée par de nombreux aléas sociaux et environnementaux. Si elle entend bien sûr dénoncer les injustices et la culture de l’impunité régnant systématiquement dans les conflits opposant les éleveurs samis aux Suédois, Stöld n’est pas un roman manichéen pour autant.

Ainsi, après avoir longtemps été terrorisée, Elsa est devenue une jeune femme volontaire et déterminée qui s’élève contre les injustices et les règles insensées imposées à sa communauté par la société dominante mais également contre les rôles prédéfinis toujours à l’oeuvre dans sa propre communauté. Enfin, Ann-Helén Laestadius soulève les difficiles questions de l’héritage culturel, de la transmission familiale et du terrible poids qu’elles peuvent représenter dans la construction identitaire.

« Etre sami, c’est porter son histoire avec soi. Se trouver, enfant, devant un lourd sac à dos et choisir ou non de le porter. Mais comment oser choisir autre chose que de porter l’histoire de sa famille et de transmettre son héritage? »

S’il est relativement lent et peut parfois sembler un brin répétitif, Stöld n’en est pas moins un roman important et nécessaire, un roman à la fois instructif et très touchant.

(*Les termes « Sámi » et « Sápmi » sont utilisés en lieu et place de « Lapon » et « Laponie » jugés extrêmement péjoratifs).

Note : 4 sur 5.

Roman repéré chez Doudoumatous dont l’avis est à lire ici.

Robert Laffont, août 2022, 440 pages.

Stöld (2021)
Traduit du suédois
par Anna Postel

3ème lecture dans le cadre de l’année thématique « Lire (sur) les minorités ethniques » proposée par Ingannmic

4 réflexions au sujet de “Stöld · Ann-Helén Laestadius”

  1. Je suis contente d’avoir suscité l’envie de lire ce livre. C’est un roman fort. Il y a peut-être quelques longueurs, en effet, mais le sujet est passionnant. Le territoire est immense est les moyens sont limités mais cela n’excuse pas par la manière dont sont « traitées » les plaintes des éleveurs sames.

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