S’il n’en reste qu’une · Patrice Franceschi

Dans le cadre de l’année thématique consacrée aux minorités ethniques, j’avais très envie de me pencher sur la question kurde. Le roman, le témoignage et l’essai que j’ai choisis de lire dans un premier temps traitent tous les trois du rôle joué par les combattants kurdes dans la guerre civile en Syrie et dans la défaite de l’Etat islamique.

Auteur d’une trentaine de livres -récits, essais et romans-, l’explorateur, aventurier et auteur français Patrice Franceschi (1954) raconte dans son dernier roman, S’il n’en reste qu’une (2021), le destin aussi héroïque que tragique de deux combattantes kurdes en Syrie.

« […] Vivre libre ou se reposer, il faut choisir. C’est un grand sage qui a dit ça autrefois; tu ne peux pas être fatigué puisque tu te bats pour être libre. »

En 2021, Rachel Casanova, journaliste québécoise employée par le Sydney Match, est envoyée dans le Rojava -le Kurdistan syrien- pour enquêter sur les combattantes kurdes et l’héroïsme dont elles ont fait preuve dans leur long combat contre l’Etat islamique. Après une semaine de visites officielles sans grand intérêt pour son sujet, elle découvre par hasard dans le cimetière kurde fermé de Kobané une double tombe dans laquelle reposent deux femmes, deux soeurs d’armes, Tékochine et Gulistan. L’énigme entourant la façon dont elles ont été tuées en 2019 agit comme un puissant déclencheur sur Rachel qui décide dès lors de tout mettre en oeuvre pour faire toute la lumière sur la vie et la mort de ces deux combattantes.

De Kobané dans le Kurdistan syrien à Erbil et aux Monts Quandil dans le Kurdistan irakien puis aux maquis des montagnes de la province de Diyarbarkir dans le Kurdistan turque, Patrice Franceschi nous emmène sur les traces de Tékochine et Gulistan. En trois parties passionnantes du point de vue historique, il raconte le rôle et le fonctionnement des YPJ -les unités de protection de la femme-, ces organisations militaires kurdes entièrement féminines, ainsi que l’incroyable détermination qui anime ces combattantes prêtes à tous les sacrifices pour obtenir la liberté pour leur peuple. Il revient sur la bataille de Kobané (septembre 2014 – juin 2015) ayant représenté un tournant dans la guerre civile, la prise de Raqqa, la capitale de l’EI, en octobre 2017 après quatre mois de combats meurtriers et enfin sur la bataille de Sérikani en octobre 2019 provoquée par la trahison américaine qui a permis aux troupes turques de mener l’offensive contre les Kurdes.

Si S’il n’en reste qu’une est poignant, très intéressant du point de vue historique et a le très grand mérite de vulgariser un conflit complexe et de mettre en lumière le quotidien héroïque des combattantes kurdes, je dois malheureusement émettre quelques bémols sur sa forme. J’ai ainsi été gênée par la place beaucoup trop importante accordée à la journaliste qui manque par ailleurs cruellement de crédibilité. Il en a résulté une lecture quelque peu hachée car l’histoire à la fois captivante et bouleversante de Tékochine et Gulistan est régulièrement entrecoupée par les questions et remarques -parfois bêtes- de Rachel. Enfin, l’utilisation excessive de certaines locutions telles que « la femme qui ne souriait jamais » pour désigner une ancienne combattante devenue professeure à l’Université alourdit inutilement le texte, tout comme le recours à des dialogues parfois très creux.

Malgré ces bémols purement formels, S’il n’en reste qu’une reste un roman très intéressant du point de vue historique et un hommage poignant à tous les combattants kurdes, femmes et hommes, qui ont perdu la vie en combattant au nom de la liberté mais ont, une fois de plus, été abandonnés par l’Occident.

Note : 3.5 sur 5.
Grasset, août 2021, 237 pages.


Photo © https://womendefendrojava.net/

5ème lecture dans le cadre de l’année thématique « Lire (sur) les minorités ethniques » proposée par Ingannmic

10 réflexions au sujet de “S’il n’en reste qu’une · Patrice Franceschi”

  1. Tes bémols, même si il ne sont que formels m’ôtent l’envie de découvrir l’histoire de cette communauté. C’est bien dommage … Mais une journaliste un peu bêbête et des dialogues un peu creux, ça va m’agacer !

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    1. Je pense en effet que tu aurais tiqué sur les mêmes choses que moi!
      Utiliser le roman, plutôt que l’essai, pour traiter d’un sujet d’actualité ou historique complexe permet de toucher et de sensibiliser un public beaucoup plus large, ce qui est en soi une très bonne chose. A titre personnel, je me suis rendue compte à plusieurs reprises ces derniers mois que les divers processus narratifs propres au genre romanesque ont tendance à me laisser un certain goût d’inachevé lorsque le roman en question traite de grandes thématiques sociétales/historiques etc. Conclusion: je me tournerai désormais directement vers la non fiction. Heureusement, il existe un grand nombre de témoignages et d’essais sur la question kurde. Si elle t’intéresse, je ne doute pas que tu y trouveras ton compte.

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  2. C’est dommage parce qu’apparemment Patrice Franceschi connait bien la question kurde. Il a écrit 2 essais sur le sujet, ce qui permet peut-être d’éviter les aspects dérangeant du roman.

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    1. Mes bémols sont très personnels et je comprends très bien l’intérêt et le besoin de recourir à des ficelles narratives pour rendre certaines thématiques plus « digestes ». Désormais je pense me diriger directement vers la non fiction qui je pense me conviendra mieux en effet. J’ai d’ailleurs emprunté « Mourir pour Kobané » de Patrice Franceschi justement que je me réjouis de lire 🙂

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  3. C’est tout de même une belle participation aux Lectures sur les minorités ethniques. Et j’attends de voir ce que tu as pensé de cette non fiction, sur le même thème, que tu as l’intention de lire.

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  4. Je partage ta critique. Le sujet est intéressant mais la forme est bancale. Je le conseille tout de même car il permet, comme tu l’as si bien dit, de toucher un plus grand nombre de lecteurs pas toujours informés du sort réservé au peuple kurde. Mais La Louve de Dêrsim, pour le coup, te plaira je pense car la forme est beaucoup plus souple et réussie.

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