Peinture fraîche · Chloë Ashby

Parmi les centaines de livres parus et encore à paraître à l’occasion de cette nouvelle rentrée littéraire, je n’en ai choisi que quatre, préférant cette année piocher dans le puits sans fond qu’est devenue ma pile à lire. Parmi ces quatre lectures figure Peinture fraîche (2023), un premier roman très réussi et touchant dont j’ai tourné la dernière page avec un petit pincement au coeur…

La journaliste culturelle anglaise Chloë Ashby y brosse le portrait sensible et tout en nuances d’une jeune Londonienne de vingt-six ans un peu perdue dans les méandres de sa vie.

Depuis que sa vie « est partie en vrille » quelques jours avant son cinquième anniversaire, Eve peine à évoluer de manière stable. Durement affectée au fil des ans par la disparition brutale d’êtres chers, elle tente tant bien que mal de se (re)construire, louvoyant entre les jobs qu’elle enchaîne, ses séances de yoga et chez le psy ou encore ses visites hebdomadaires à la Courtauld Gallery où elle se rend chaque mercredi pour voir Suzon, la serveuse de Un Bar aux Folies bergère (Edouard Manet, 1882), dont elle se sent étrangement proche bien qu’elle ne soit jamais parvenue à en décrypter le regard et les pensées.

Eve vit en colocation avec Karen, une « Norvégienne au cuir épais » chargée de com’ dans l’hôtellerie dont elle subtilise régulièrement les affaires, et Bill, le patron d’une jeune start-up. Si Karen et Bill viennent naturellement et régulièrement en aide aux « gens comme elle » et la laissent vivre chez eux pour presque rien, pour Eve ils représentent ce qui se rapproche le plus d’une famille. Lorsque suite à un scandale, elle démissionne de son poste de serveuse, Eve doit rapidement retrouver un emploi pour ne pas aggraver une situation déjà délicate. Elle accepte alors de « se désaper au nom de l’art » en servant de modèle vivant dans une école d’art et, dans la foulée, décroche un nouveau poste de serveuse dans la City grâce à Max, son plus vieil ami à Londres. Enfin arrive Annie, une trentenaire rencontrée à l’école d’art où elle pose, qui lui propose du baby-sitting. Grâce à ces diverses opportunités et à la grande bienveillance des personnes qui l’entourent, Eve semble -enfin- sur le point d’atteindre une certaine stabilité et bien-être psychologique. Malheureusement ses fêlures sont profondes…

En usant de la première personne du singulier et en parsemant de façon non linéaire le roman de brèves parties en italiques dans lesquelles Eve s’adresse, au gré de ses souvenirs, à sa meilleure amie disparue cinq ans plus tôt, Chloë Ashby nous plonge au coeur de la psyché d’une jeune femme souffrant d’un « mal au coeur perpétuel ». Amputée de ses racines, Eve n’a pas pu évoluer et se construire sereinement, elle ploie sous la solitude, un fort sentiment d’abandon et le manque de confiance en soi auxquels s’ajoute, encore, une terrible culpabilité. Trop de douleurs, trop de blessures jamais cicatrisées…

S’il peut sembler bien sombre, Peinture fraîche n’est pourtant pas lourd, triste ou plombant. Certes, Chloë Ashby évoque le deuil et l’abandon mais elle brosse avant tout, avec beaucoup d’humanité, le beau portrait d’une femme dans toute son imperfection et sa fragilité. Enfin, de petites touches d’humour et l’importante place accordée à l’Art participent à faire de Peinture fraîche un premier roman complet, intéressant et captivant.

Une très belle découverte.

Note : 4.5 sur 5.
La Table ronde, août 2023, 363 pages

Vet Paint (2022)
Traduit de l’anglais
par Anouk Neuhof



Photo © Pixabay

7 réflexions au sujet de “Peinture fraîche · Chloë Ashby”

Laisser un commentaire