Sörensen hat Angst · Sven Stricker

Qu’est-ce que j’ai ri avec ce polar nord-frison! Un régal de lecture du début à la fin!

De retour en Frise du Nord pour dix jours début septembre, je me suis, presque aussitôt arrivée à Husum, précipitée dans la très jolie librairie Liesegang pour y faire le plein de livres. Les Allemands étant friands de polars régionaux, je voulais, après avoir découvert l’année dernière Eva Almstädt et sa série policière nord-frisonne Akte Nordsee, découvrir un nouvel auteur du coin. Malgré la couverture pas franchement engageante, j’ai jeté mon dévolu sur Sven Stricker et son commissaire Sörensen. C’était la meilleure idée de la semaine!

Avec Sörensen hat Angst (2015) -littéralement Sörensen a peur– le romancier et metteur en scène radiophonique Sven Stricker (1970) signe le premier tome d’une série policière qui en compte quatre à ce jour. Ce premier volet a été adapté à la télévision allemande en 2021 et l’acteur Bjarne Mädel qui incarne Sörensen est juste parfait dans ce rôle! Voici le lien vers le trailer sur Youtube (1’17): cliquer ici.

Sörensen, dont on ne connaît pas le prénom puisqu’il en est mort de honte et refuse catégoriquement de le dévoiler (ses parents -d’anciens hippies convaincus- ne devaient clairement pas être dans leur état normal au moment de lui attribuer cette horreur), souffre de crises d’angoisse sévères qu’il tente de soigner à coup d’anxiolytiques et d’anti-dépresseurs. Après que sa femme, à bout, l’a quitté en emmenant avec elle leur fille de six ans, Sörensen sombre encore un peu plus. Et le stress lié à son travail et à la criminalité croissante n’arrange en rien sa situation. Le constat est alarmant et sans appel: sa vie à Hambourg est devenue un véritable enfer. A force de négociations avec sa hiérarchie, il parvient à obtenir une mutation pour Katenbüll, un trou paumé fictif en Frise du Nord où il ne se passe jamais rien. Il jubile d’avance à l’idée de pouvoir enfin lever le pied et prendre soin de lui et de sa santé.

Mais Katenbüll ne tient évidemment pas ses promesses. A peine arrivé au commissariat où il fait connaissance avec ses deux principaux collègues, son bras droit Jennifer Holstenbeck, une célibataire de trente cinq ans mère d’une fille de dix-huit ans, et Malte Schuster, le stagiaire aspirant policier du genre premier de classe beaucoup trop sérieux et un peu (beaucoup) coincé, le trio de choc (enfin, de choc…) est appelé sur les lieux d’un crime sordide. Sörensen, livide, n’en revient pas de sa poisse et frôle la syncope: le maire de Katenbüll est retrouvé mort dans son écurie. Assassiné.

La fine équipe à laquelle s’ajoutent deux agents de police d’un certain âge met dès lors tout en oeuvre pour retrouver l’assassin qui a osé mettre en péril la quiétude de cette si charmante bourgade (enfin, charmante…). Comble de l’horreur: les meurtres s’enchainent et Katenbüll devient le théâtre d’un véritable bain de sang. Les médias se déchainent et cette autrefois si paisible (et tristounette et ennuyeuse) bourgade du Grand Nord allemand défraie du jour au lendemain la chronique, faisant la une de tous les grands quotidiens nationaux! On s’en doute: Sörensen est aux anges.

Pendant les trois jours que dure Sörensen hat Angst, Sven Stricker nous plonge non seulement dans la vie tourmentée de Sörensen et celle de ses collègues, mais également dans le quotidien de certains habitants de Katenbüll. Mention spéciale pour les personnages d’Ole Kellinghusen, un jeune aspirant guitariste altermondialiste de vingt-et-un ans un peu paumé aux idées bien arrêtées et Käse Käthe (qui en réalité ne s’appelle pas du tout Käthe) qui vend depuis quarante ans ses Käsebrötchen dans une roulotte sur la place du marché, à proximité immédiate de celle de son mari qui, lui, vend des saucisses. N’oublions pas le pasteur qui jure comme un charretier, le tenancier bourru du seul restaurant de la place fréquenté uniquement par les locaux et l’homme d’affaires arrogant et riche aux as aux commandes de la seule entreprise du coin (une fabrique de viande au grand dam de Sörensen -végétarien- et d’Ole -altermondialiste jusqu’au bout de ses dreadlocks). Enfin, Katenbüll ne serait pas Katenbüll sans l’adjointe au maire, une femme exécrable qui prend immédiatement Sörensen en grippe, et vice-versa.

Sven Stricker a créé une importante et réjouissante galerie de personnages principaux et secondaires diversifiés et hauts en couleurs tout en restituant de façon très visuelle les paysages si typiques de la Frise du Nord (digues, marais, moutons et mer des Wadden) et le quotidien parfois difficile d’une communauté vivant dans une région mal-aimée au climat très rude. Quant à l’enquête policière, si elle en devient presque secondaire, elle n’en est pas moins d’une grande noirceur, noirceur toutefois grandement atténuée par l’humour décapant de Sven Stricker.

Un premier roman tragi-comique hilarant et très réussi.

Coup de coeur!

Note : 5 sur 5.
Rowohlt, décembre 2015, 429 pages.




Photo © Livr’escapades, sept. 2023

10 commentaires sur “Sörensen hat Angst · Sven Stricker”

  1. J’aime bien ce genre de polar et ce serait une bonne occasion de découvrir l’envers de la Frise du Nord. Je ne connaissais pas cette série de romans mais je vais essayer de me la procurer !

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    1. Oui, c’était vraiment une excellente pioche! J’ai lu le tome 2 dans la foulée et me retiens de ne pas tout de suite aller acheter les 3 et 4. Et lire un livre qui se déroule dans la région où on est en vacances a vraiment une saveur particulière 🙂
      J’ai oublié de préciser que la série n’a malheureusement pas été traduite en français 😦

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  2. je crois que le trailer sur Youtube donne une bonne idée de l’ambiance (j’ai adoré le type en marcel et slip kangourou. J’ai pensé à Big Lebowski). Dommage donc que le roman ne soit pas traduit en Français. Mon Allemand est trop mauvais pour lire en VO. Si tu as d’autres polars allemands à suggérer, je suis preneuse. J’ai bien aimé ceux de Nele Neuhaus qui se déroulent en Westphalie.

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    1. J’ai regardé la moitié du film et effectivement l’ambiance est très bien rendue. Et puis Bjarne Mädel qui incarne Sörensen est vraiment excellent, ce rôle lui va à la perfection! Un peu déçue par contre par le personnage d’Ole qui n’a pas de dreadlocks (ben oui c’est important 😉 ) et n’est pas vraiment présent dans le film alors qu’il joue un rôle secondaire assez important dans le livre. Et puis, cette fameuse place du marché sur laquelle donne le commissariat n’a (pour l’instant?) pas encore été filmée. Dommage car elle est très jolie et s’inspire de la petite ville natale de Stricker (Tönning) que j’ai d’ailleurs visitée (avant d’acheter le livre). Et j’aurais aimé voir la roulotte de la fameuse Käse Käthe 🙂 Apparemment, ils seraient en train de tourner le tome 2, je serai au rdv!
      Je vais me renseigner pour les traductions françaises et ne manquerai pas de t’informer.

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  3. Je comprends maintenant pourquoi Eva voulait absolument que je lui rapporte ce livre lors de mon court séjour dans les environs de Brême :-). J’ai regardé l’extrait sur YouTube, on y retrouve vraiment l’humour allemand ! Merci pour ce conseil.

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