Les suicidés du bout du monde · Leila Guerriero

J’avais repéré et noté cette enquête journalistique l’année dernière dans le cadre du mois latino et n’ai donc pas hésité lorsque je l’ai trouvée en seconde-main il y a quelques mois.

Avec son premier livre, Les suicidés du bout du monde, Chronique d’une petite ville de Patagonie (2021) paru en Argentine en 2005, la journaliste argentine Leila Guerriero (1967) s’est rapidement imposée comme une figure majeure du journalisme narratif en Amérique latine.

En 2001 alors qu’elle travaille pour le quotidien La Nación à Buenos Aires, son intérêt est piqué par une lettre d’information évoquant un programme mis en place pour la première fois par l’Unicef dans l’intérieur du pays. Ce programme a pour objectif de soutenir et venir en aide aux jeunes Argentins après qu’une vague de suicides sans précédent a endeuillé une petite localité dans la province de Santa Cruz, en Patagonie. Dans un pays où « toutes les histoires, toutes les joies et les peines semblaient se produire dans la capitale », ces suicides étaient évidemment passés totalement inaperçus. Il n’en fallait pas plus pour que la journaliste décide de s’y intéresser et de se rendre dans la région pour y mener une enquête de longue haleine.

Malgré l’implosion de la société argentine suite au corralito décrété en décembre 2001 par le Ministre de l’économie et la terrible crise économique et politique dans laquelle sombrait le pays, elle décide de passer outre les nombreuses difficultés et de se rendre comme prévu, mais à ses propres frais, à Las Heras en automne 2002. Un premier voyage auquel s’ajouteront plusieurs autres au fil des mois et des années.

Las Heras, une petite bourgade située sur un plateau central inhabité, dans un immense désert, à mi-chemin entre la côte et la cordillère des Andes, avec des hivers à -15 et des vents à cent kilomètres/heure au printemps comme en été », a vu le jour en 1911 avec la construction du chemin de fer en Patagonie. La ville s’est ensuite développée à un rythme effréné en raison de l’abondance de moutons et de son incroyable production de laine. Lorsque dans les années 1960 il s’est avéré que Las Heras se trouvait en bordure de l’un des gisements de pétrole les plus importants de Patagonie, les investissements n’ont pas tardé à exploser.

La petite ville pétrolière en plein essor, un véritable eldorado devenu synonyme de richesse assurée, a commencé dès lors à attirer de nombreuses entreprises ainsi que des travailleurs de toutes les provinces du pays voyageant seuls pour tenter leur chance, des prostituées venues par centaines de toute l’Argentine, sans oublier de nombreuses églises. Mais tout a une fin. Et le début de la fin pour Las Heras est arrivé en 1991 avec le processus de privatisation des entreprises pétrolières qui a entraîné son lot de malheurs.

C’est là, dans cette ancienne petite ville prospère tombée en décrépitude, que vingt-deux jeunes entre dix-huit et vingt-huit ans se sont suicidés entre 1997 et 1999.

« La vie des gens dans un endroit tel que Las Heras est dépourvue de sens. Il n’y a pas de sentiment d’appartenance. Les gens ne sont pas du coin, de cette terre. Beaucoup viennent d’ailleurs, et on parle du syndrome de la valise: la valise derrière la porte, prête pour le départ. »

Au gré de ses voyages dans la région, Leila Guerriero a mené de nombreux entretiens avec les familles et amis des disparus ainsi qu’avec certaines personnalités de la localité afin de reconstituer les faits et tenter de comprendre les raisons qui ont poussé ces jeunes à commettre l’irréparable.

Au fil des pages est dévoilée une réalité socio-économique très sombre. Des entretiens ressort que le quotidien pour celles et ceux qui n’ont pas pu quitter Las Heras lorsque tout s’est effondré est souvent fortement marqué par la violence. Les familles sont souvent bancales, beaucoup d’hommes sont au chômage, les femmes ne sont que très peu instruites -pourquoi les envoyer à l’école puisque de toutes façons elles vont se marier?- et il n’est pas rare de rencontrer des jeunes filles devenues mères à quatorze ou quinze ans. La violence domestique, l’alcoolisme, les viols, la prostitution, le chômage endémique et le manque de perspectives d’avenir semblent représenter un début d’explication à cette tragédie. Si certaines initiatives locales, telles que la mise en place de lignes téléphoniques d’urgence et de soutien ainsi que la consultation de psychologues, ont vu le jour, les suicides n’ont jamais totalement cessé. Quant au reste du pays, il n’a tout simplement jamais daigné s’intéresser au sort des habitants de Las Heras.

Bien que Les suicidés du bout du monde soit une enquête nécessaire et poignante, sa lecture ne m’a malheureusement pas totalement convaincue. J’ai ainsi parfois été un peu gênée par l’écriture (la traduction?) et l’absence d’une véritable conclusion m’a laissée un peu sur ma faim.

Note : 3 sur 5.

Une lecture commune faite avec Ingrid dans le cadre du mois latino.

Rivages, septembre 2021, 222 pages.

Los suicidas del fin del mundo (2005)

Traduit de l’espagnol (Argentine)
par Maïra Muchnik



© Photo by Scheidt, Pixabay
Participation au mois latino chez Ingannmic

8 réflexions au sujet de “Les suicidés du bout du monde · Leila Guerriero”

  1. C’est fou, nous concluons de la même manière, mot pour mot !! Ce n’est pas tant l’écriture qui m’a gênée (Kathel avait exprimé le même bémol que toi), que l’absence de structure claire dans le récit. On a l’impression de suivre, plus qu’une enquête, les errements de l’enquêtrice.. malgré tout, je ne regrette pas ma lecture, pour son côté instructif, et cette étrange ambiance dans laquelle nous plonge l’auteure.

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    1. Oui, j’ai vu c’est fou en effet! Je suis arrivée au bout de ma lecture avec l’impression très forte qu’il manquait quelque chose. Tu as parfaitement raison quand tu parles d’errements. Mais tout comme toi, je ne regrette pas non plus ma lecture car le contexte historique et socio-économique reste très intéressant. Je me suis d’ailleurs empressée de regarder si ma BM avait des titres de Roberto Walsh mais malheureusement ce n’est pas le cas.

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  2. C’est vrai que vous arrivez à la même conclusion Ingrid et toi, avec les mêmes bémols. Pourtant, on voit bien que cette lecture a été très instructive.

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