Il y a une dizaine d’années, j’avais lu et beaucoup aimé La bâtarde d’Istanbul, le premier roman d’Elif Shafak traduit en français en 2007. Depuis, l’auteure turque a publié de nombreux autres romans et je me demande très sérieusement sur quelle planète j’ai bien pu échouer pour ne renouer avec elle que maintenant! La bonne nouvelle dans tout ça? J’ai farfouillé dans ma pile à lire himalayesque et y ai déniché Crime d’honneur. Je pensais y retrouver aussi Soufi, mon amour, mais non. J’ai dû l’acheter dans mes rêves. Bref. Tout ça pour vous dire que j’ai tellement (tellement!) aimé ce que je viens de lire que je compte déjà bientôt récidiver!
10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange est une magnifique histoire de femmes, une histoire d’une (in)humanité bouleversante, une histoire aussi noire, triste et terriblement révoltante que belle, généreuse, sensible et profondément émouvante.
Tequila Leila, une prostituée de quarante-trois ans, est retrouvée morte, assassinée, dans une benne à ordures quelque part dans une rue insalubre dans les faubourgs d’Istanbul. Si biologiquement son corps est bel et bien mort, son esprit quant à lui est encore vivace. Et il le sera encore pendant très exactement dix minutes et trente-huit secondes. Un laps de temps précieux qui permet à Leila, au gré des odeurs et des saveurs gravées dans sa mémoire, de se remémorer son existence depuis sa naissance à Van en Anatolie jusqu’à sa mort à Istanbul, cette ville « où finissent par aboutir tous les mécontents et tous les rêveurs ».
« Istanbul n’était pas une ville pleine d’opportunités, mais pleine de cicatrices. »
Militante des droits des femmes, Elif Shafak dénonce avec ce roman les nombreuses violences faites aux femmes, les conventions sociales, les jugements, les préjugés et « la haine silencieuse qui emplissait la vie de ces gens comme un gaz inodore ». En choisissant comme personnage central une prostituée, elle met notamment en exergue l’article 438 du Code pénal turc qui permettait, jusqu’à son abrogation en 1990, de réduire d’un tiers la sanction d’un violeur s’il pouvait prouver que sa victime était une prostituée.
A travers l’histoire de Tequila Leila, Nostalgia Nalan, Jameelah, Zaynab122 ou encore Humeyra, toutes marginalisées par leur statut social, leur origine, leur apparence physique ou encore leur orientation identitaire et sexuelle, l’auteure non seulement brosse de beaux portraits de femmes assoiffées de liberté, à la fois fragilisées et fortes, mais nous offre également une incursion très intéressante dans l’Histoire et les us et coutumes de la Turquie entre 1947 et 1990.
Si la première partie, la plus importante et la plus longue (elle correspond à peu de pages près aux deux tiers du roman), m’a véritablement emportée et touchée en plein coeur, le côté un peu trop rocambolesque de la seconde m’a légèrement moins plu même si elle a le mérite de m’avoir fait beaucoup sourire. Quant à la dernière partie, très courte heureusement, elle ne m’a malheureusement pas convaincue. Le roman n’est donc, et contre toute attente, pas un coup de coeur (mais j’en ai peu de toutes façons, je suis trop exigeante). Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un très beau roman que je ne peux que chaleureusement vous recommander!
10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange. Un roman fort et engagé, sensible et poignant ainsi qu’un très bel hommage à tous les indésirables et les invisibles de ce monde.

10 Minutes 38 Seconds in This Strange World
Trad. Dominique Goy-Blanquet
Photo by Şinasi Müldür on Pixabay
elle est très connue et ce livre a eu un beau succès chez les anglo-saxons et elle est pressentie pour le Women Prize mais j’ai aussi entendu les mêmes bémols. Sinon, je dois toujours la découvrir !
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Si tu es partante pour une lecture commune, fais-moi signe au moment venu!
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Quelle coïncidence ! Je viens de l’acheter. Je me réjouis !
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Oh génial! Tu viendras me donner tes impressions quand tu l’auras fini?
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