Sixième lecture dans le cadre du Prix du Festival du LàC et quelle lecture!
Le tailleur de Relizane (2020) est le sixième roman de l’autrice et journaliste française Olivia Elkaim (1976) que je découvre avec grande joie à travers ce livre inspiré de la vie de son grand-père paternel. Elle signe avec Le tailleur de Relizane un roman familial bouleversant à la fois intimiste et universel autour des questions douloureuses de l’exil et du déracinement, de la quête identitaire, de la transmission et de la mémoire historique et familiale.
« Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu ne sais pas où tu vas. »
Suite à son divorce après dix ans de mariage, Olivia Elkaim s’effondre. Alors qu’elle se débat avec sa douleur, qu’elle erre « égarée dans une forêt profonde », elle ressent le besoin irrépressible de comprendre ce qu’elle a mis tant de soin et d’énergie à nier pendant toute la décennie qu’a duré son mariage: l’Algérie, le pays natal de ses ancêtres.
L’Algérie ne représentait pour elle qu’un « folklore à la table de ses grands-parents », grands-parents dont elle a délibérément choisi de gommer l’histoire et la mémoire, se « promenant, aveugle et sourde, dans la nuit de [ses] origines » allant jusqu’à entreprendre des démarches officielles pour modifier son nom de famille afin d’effacer toute trace de ses racines algériennes.
« J’aurais aimé me coltiner le silence, un géniteur granitique sur lequel se serait brisé ma curiosité, plutôt que ce père dont la voix se casse dès qu’il évoque Relizane, ses larmes qui font couler les miennes et empêchent mes questions. »
S’étant déclarée prête à accueillir le bagage familial -qui lui parvient à travers une valise à roulettes Samsonite que son grand-père Marcel et son père attendaient depuis des années de lui remettre-, Olivia se met en quête de ses origines, animée d’un désir sincère et puissant de se réconcilier avec son passé et ainsi espérer redonner un sens à sa vie.
Le tailleur de Relizane est le résultat de cette quête. Dans ses pages, Olivia Elkaim reconstitue l’histoire tragique de son grand-père depuis cette fameuse nuit d’octobre 1958 à Relizane lorsqu’il a été arrêté et emmené par un commando jusqu’à sa mort dans le sud de la France en mai 2010.
En deux parties distinctes -la première en Algérie, la seconde en France- parfois entrecoupées de considérations personnelles liées à son cheminement identitaire, elle raconte la vie de ce grand-père tant aimé qui fut tailleur à Relizane, une petite ville située entre Oran et Alger, et menait une vie rangée avec sa femme et ses deux fils jusqu’à ce que l’Histoire vienne tout bouleverser.
Comme des centaines de milliers de Juifs d’Algérie avant lui, Marcel a obtenu la nationalité française en vertu du décret Crémieux de 1870. Suite aux « événements » ayant mené à la proclamation d’Indépendance, Marcel a été contraint de fuir le pays qui l’a vu naître et d’abandonner son existence toute entière pour être rapatrié dans un pays dont il était officiellement un citoyen mais qu’il ne connaissait pas et qui, surtout, ne voulait pas de lui.
A travers l’histoire de Marcel, de sa femme et de ses deux fils, Olivia Elkaim dit les milliers de destins brisés, le traumatisme lié à l’exil forcé, à l’arrivée dans un pays inconnu et surtout à la très difficile intégration dans une France qui n’est que mépris et haine à l’encontre de ses « pieds-noirs ».
Le tailleur de Relizane est un roman très poignant sur les « victimes d’une histoire trop grande pour eux » et un hommage touchant et émouvant de la part d’une petite-fille en quête de ses origines à son grand-père, un homme modeste et profondément humain.
Tout comme le très beau L’art de perdre (2017) d’Alice Zeniter, Le tailleur de Relizane me marquera encore longtemps.

© Steen Jepsen, Pixabay
Je l’avais repéré à sa sortie, au lu de ta chronique, je le note dans ma liste des livres à découvrir. Il faut aussi que je lise L’art de perdre. On oublie trop souvent à l’heure actuelle le pourquoi du comment de l’origine de certains immigrés en France.
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Tu fais très bien de le noter. « L’art de perdre » est vraiment à lire aussi. Ils te plairont tous les deux, j’en suis quasi sûre. Ce sont deux romans qui soulèvent effectivement beaucoup de questions en rapport avec « l’identité française ».
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Ce livre m’a fait vivre de l’intérieur le destin tragique de familles entières. J’ai beaucoup aimé même si quelques points d’ordre historique, assez mineurs, m’avaient parus insuffisamment étayés. Intéressant de saisir toute la difficulté d’en dire trop ou pas assez concernant un évènement comme la guerre d’Algérie.
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