L’eau rouge · Jurica Pavičić

J’aime lire des polars, voyager et sortir des sentiers battus. Je ne pouvais donc pas passer à côté du premier polar croate traduit en français!

Jurica Pavičić (1965) est un journaliste et scénariste croate, également auteur de sept romans, de deux recueils de nouvelles et d’essais divers; L’eau rouge (2021) est son premier titre traduit en français. Dans ce roman -qui relève selon moi davantage d’un drame familial et/ou d’un roman d’apprentissage sur fond d’histoire croate que d’un polar-, l’auteur nous plonge dans l’intimité d’une famille dévastée par la disparition tragique de l’un de ses membres.

En ce samedi de la fin septembre 1989 à Misto, un bourg de la côte dalmate, une famille croate vit ses derniers instants de bonheur et d’insouciance. Lorsque Silva quitte la maison ce soir là pour se rendre à une fête en bas dans la baie, ses parents ne se doutent pas un instant que « Allez, salut » seraient les derniers mots que leur adresserait leur fille de dix-sept ans.

Le 23 septembre 1989 marque le début de la fin pour Vesna, Jakov et le frère jumeau de Silva, Mate. Brisée, la famille entame une longue et douloureuse descente aux enfers. Leur vie se résume désormais à l’attente des nouvelles de l’enquête menée par Gorki Šain, inspecteur à Split. Si elle livre assez rapidement quelques éléments et révèle des aspects méconnus de la personnalité et de la vie de Silva, les nouvelles deviennent de plus en plus incertaines et irrégulières et l’enquête finit par stagner. Alors que la Yougoslavie vole à son tour en éclats et sombre dans la folie meurtrière, l’affaire est reléguée aux oubliettes avant d’être définitivement classée. Mais Mate refuse catégoriquement de tourner la page et d’abandonner sa soeur.

L’eau rouge est une histoire de disparition, de blessures immenses et de deuil impossible. Une histoire d’absence. Une absence omniprésente, obsédante, qui emprisonne et détruit. Comment survivre à la disparition brutale et inexpliquée d’un enfant, d’une soeur? Comment avancer lorsque la vie n’a plus de sens, envisager le futur si le présent est insupportable? Comment gérer l’inconnu, l’incertitude qui ronge et détruit à petit feu?

En alternant les points de vue de Vesna, Jakov et Mate et ceux de personnages secondaires évoluant hors du cadre strictement familial, Jurica Pavičić donne une dimension plus globale à ce drame en analysant non seulement la façon dont la disparition de Silva a détruit à jamais l’équilibre familial mais également la manière dont elle a durablement affecté de nombreuses personnes ayant gravité autour d’elle.

Si le style très factuel et la narration au présent m’ont au départ quelque peu gênée, je n’y ai bientôt plus fait attention tant l’auteur a su me toucher à travers le vécu de ses divers personnages. Il retranscrit ainsi avec beaucoup de justesse et de sensibilité, et sans jamais céder au pathos, une multitude de sentiments et de comportements parfois très variés. Enfin, les bouleversements historiques -la chute du communisme, la guerre civile, l’afflux des capitaux étrangers massivement injectés dans le secteur du tourisme- sont abordés de façon habile à travers le vécu de certains personnages secondaires. Une alternance de personnages et de thèmes intéressante et réussie!

Malgré la tristesse infinie qui se dégage parfois de ce roman, L’eau rouge fut une très bonne lecture et Jurica Pavičić un auteur que je relirai très volontiers.

Note : 4 sur 5.
L'eau rouge, Jurica Pavicic
Agullo, 384 pages, mars 2021.

Crvena voda (2017)
Trad. Olivier Lannuzel

© FMedic_photography Pixabay

Lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.

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