La maison allemande · Annette Hess

J’ai le plaisir de débuter cette troisième édition des « Feuilles allemandes » avec Deutsches Haus, un roman qui m’a été conseillé l’année dernière et que je ne peux à mon tour que chaleureusement vous inviter à lire. Paru en français en 2019, La maison allemande est depuis peu également disponible au format poche.

Ullstein Verlag, septembre 2018, 368 pages.

La scénariste et autrice allemande Annette Hess (1967) signe avec Deutsches Haus (2018) un premier roman très intéressant et captivant sur le devoir de mémoire collectif et individuel. A travers le cheminement d’une jeune femme naïve qui découvre progressivement l’histoire nationale et familiale, Annette Hess nous plonge de façon très réaliste et immersive dans la société ouest-allemande des années soixante, une société aveugle et amnésique subitement contrainte de reconnaître sa responsabilité dans les abominations perpétrées à grande échelle sous le Troisième Reich.

Francfort, décembre 1963. L’interprète de formation Eva Bruhns est sur le point de se fiancer au riche héritier Jürgen Schoormann lorsque débute le second procès d’Auschwitz. Suite à un concours de circonstances, Eva est convoquée puis engagée par le Tribunal chargé de juger d’anciens dignitaires nazis. En sa qualité d’interprète du polonais, elle doit traduire devant la Cour les dépositions des survivants des camps de concentration. En acceptant cette nouvelle charge, Eva ne se doute pas un seul instant que ce procès sera à l’origine de révélations fracassantes qui bouleverseront sa vie toute entière.

Deutsches Haus se construit autour d’une double prise de conscience. Celle, collective, d’une société ouest-allemande qui a préféré occulter la barbarie nazie pour se concentrer sur un avenir économiquement radieux mais qui, dans les années soixante, n’a plus le choix et doit ouvrir les yeux sur son passé. Et puis celle, individuelle et familiale, d’une jeune femme qui découvre peu à peu l’ampleur des non-dits et des secrets familiaux.

A travers le Procès de Francfort, Annette Hess soulève les questions capitales du devoir de mémoire et de réparation historique et morale, de l’absolue nécessité pour un pays de reconnaître ses torts et d’endosser la responsabilité des crimes commis, ceci afin de pouvoir se reconstruire en tant que nation.

A travers le parcours personnel d’Eva, symbole d’une jeunesse insouciante et souvent ignorante du passé, l’autrice évoque les difficultés de ces jeunes devant subitement faire face à des réalités historiques abominables dont ils ne savaient rien jusque là. Comment cette jeunesse va-t’elle s’approprier ce passé? La prise de conscience de la responsabilité collective et du rôle qu’ont joué (ou pas) ses parents pendant la guerre est pour Eva non seulement extrêmement douloureuse mais engendre également une culpabilité historique:

« Die? Wer sind die? Und ihr, was wart ihr? Ihr wart ein Teil des Ganzen. Ihr wart auch die! Ihr habt das möglich gemacht. Ihr habt nicht gemordet, aber ihr habt es zugelassen. Ich weiss nicht, was schlimmer ist. Sagt mir, was schlimmer ist! »

* (Traduction personnelle) : « Eux? Qui sont ‘eux’? Et vous, qu’étiez-vous? Vous étiez une partie de l’Ensemble. Vous aussi, vous étiez eux! Vous avez rendu cela possible. Vous n’avez pas tué, mais vous l’avez autorisé. Je ne sais pas ce qui est pire. Dites-moi ce qui est pire! »

Le cheminement d’Eva permet par ailleurs à Annette Hess d’évoquer la condition des femmes dans la société des années soixante. Si la proposition du Tribunal ne représentait initialement guère plus qu’un moyen bienvenu d’atteindre l’autonomie financière, Eva se rend rapidement compte qu’il est pour elle vital de s’engager sur le long terme et peu importe si elle doit pour cela s’opposer à ses parents, de modestes restaurateurs propriétaires de l’Auberge « La maison allemande », et surtout à son fiancé, un homme austère et conservateur, qui refuse que sa future femme travaille.

Une très bonne lecture!

Note : 4.5 sur 5.

Avant de conclure, j’aimerais brièvement mentionner la mini-série en trois saisons -captivante et hautement addictive!- créée par Annette Hess: Ku’damm 56, Ku’damm 59 et Ku’damm 63.

Les neuf épisodes d’environ 1h30 chacun retracent la vie mouvementée d’une famille aisée dans le Berlin d’après-guerre. La très autoritaire Caterina Schöllack dirige une prestigieuse école de danse sur le célèbre Kurfürstendamm et, comme toute bonne conservatrice qui se respecte, ne pense qu’à trouver un bon parti pour ses trois filles et tant pis si elles ne sont pas heureuses. Sur fond de rock’n’roll endiablé, la série évoque les conflits entre générations et le poids des conventions sociales, les secrets de famille et la mémoire historique et familiale. Une série absolument passionnante et très réussie à tous les niveaux! Je conseille 🙂

Pour les germanophones, sachez que les trois saisons peuvent être visualisées sur le site de la chaîne allemande ZDF dont voici les liens d’accès direct: Ku’damm 56Ku’damm 59Ku’Damm 63. Pour les francophones, les deux premières saisons, renommées Berlin 56 et Berlin 59, sont disponibles en DVD. Quant à la troisième, elle sortira en février 2022.









Photo @ Carlotta Silvestrini, Pixabay

15 réflexions au sujet de “La maison allemande · Annette Hess”

  1. Ce livre est sur ma liste depuis sa sortie en allemand, c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup. Et tu confirmes tous les avis positifs que j’ai lus sur internet.
    Pareil pour la série ! Je ne savais pas qu’elle était disponible sur ZDF – ça pourrait me faire un petit programme pour l’hiver 😁

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    1. Avec plaisir, Martine. Annette Hess est vraiment une très belle découverte. Il ne me reste plus que les deux derniers épisodes de Ku’damm 63 à regarder et je suis déjà triste à l’idée de la finir tant les personnages sont attachants (Monika et Freddy surtout)… J’enchaînerai ensuite avec sa saga « Weisensee » qui suit deux familles de Berlin-Est entre 1980 et 1990.

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    1. Merci à toi 🙂 Annette Hess est une très belle découverte! Elle est scénariste avant d’être écrivaine… Sauf erreur, elle n’a écrit (pour l’instant?) que « La maison allemande ». Dès que j’aurai fini Ku’damm 63, je vais enchaîner avec sa saga « Weissensee » qui suit deux familles de Berlin-Est entre 1980 et 1990.

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  2. Avec cette histoire de double prise de conscience, tu résumes parfaitement le propos de ce roman. Par ailleurs, il se lit assez facilement. Une bonne surprise pour moi aussi.

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