L’alphabet du silence · Delphine Minoui

De Delphine Minoui, j’ai lu et beaucoup aimé il y a quelques années Je vous écris de Téhéran (2015), un récit dans lequel elle raconte, sous la forme d’une lettre posthume à son grand-père iranien, ses dix années à Téhéran. Si je n’ai pas encore lu Les passeurs de livres de Daraya (2017), je ne voulais pas passer à côté de L’alphabet du silence (2023).

Après son départ définitif d’Iran en 2009, la journaliste franco-iranienne (1974) et correspondante du Figaro pour le Moyen-Orient est d’abord partie vivre à Beyrouth puis au Caire avant de s’installer à Istanbul où elle réside depuis 2015. C’est précisément dans cette ville tentaculaire à cheval entre Orient et Occident, à la fois « ville-monde » et « ville-monstre », que se déroule son premier roman.

« Ce matin, des gens ont volé mon papa. »

La vie de Göktay et Ayla, un jeune couple d’universitaires et parents d’une fillette de six ans, bascule brutalement en janvier 2016 lorsque Göktay est arrêté et incarcéré pour avoir signé une pétition de trop. Le « Manifeste pour la paix » qu’il a signé comme des centaines d’autres professeurs dénonce en effet la reprise des opérations militaires au Kurdistan, vaste région du sud-est du pays marquée par un conflit meurtrier ayant fait plus de 45’000 victimes en trente ans. Ne tolérant aucune sorte de contestation, le président Erdogan riposte avec véhémence: un raz-de-marée de licenciements, de convocations et d’enquêtes administratives et judiciaires s’abat sur les professeurs non seulement à Istanbul mais à travers toute la Turquie.

En alternant d’une part les chapitres relatant le quotidien difficile d’Ayla après l’arrestation de son mari, ses questionnements sur la laïcité, son engagement politique et son cheminement intellectuel et d’autre part, les chapitres plus journalistiques, Delphine Minoui brosse un portrait très réaliste d’un pays tiraillé entre deux identités, un Etat ployant sous la politique autoritaire de son président et la répression féroce qu’il exerce contre les opposants turcs et la minorité kurde.

Bien que la question kurde aurait mérité selon moi un traitement un peu plus approfondi et que l’analyse socio-politique globale soit moins approfondie que celle livrée dans Je vous écris de Téhéran, L’alphabet du silence est un roman intelligent et engagé qui a le très grand mérite de sensibiliser un large public de façon simple et fluide à des réalités méconnues, en particulier aux nombreuses et très graves violations des droits humains en Turquie.

A lire.

Note : 4 sur 5.
L’iconoclaste, avril 2023, 304 pages.




Photo © Pixabay
6ème lecture dans le cadre de l’année thématique « Lire (sur) les minorités ethniques » proposée par Ingannmic

7 réflexions au sujet de “L’alphabet du silence · Delphine Minoui”

    1. J’ai choisi cette citation car je la trouvais poignante et elle me paraissait idéale pour débuter mon billet mais elle prête effectivement à confusion, tu as raison. Le roman n’est pas écrit à hauteur d’enfant, ni même à la première personne du singulier d’ailleurs.

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