Ici n’est plus ici · Tommy Orange

Grâce à une lecture commune, je me suis enfin décidée à lire ce roman qui avait fait énormément parler de lui lors de sa parution il y a quatre ans.

Tommy Orange (1982) signe avec Ici n’est plus ici (2019) un premier roman polyphonique saisissant autour de la quête identitaire des natifs américains vivant en milieu urbain.

« Etre indien en Amérique n’a jamais consisté à retrouver notre terre. Notre terre est partout ou nulle part. »

Après un prologue bouleversant dans lequel il rappelle notamment les massacres perpétrés à l’encontre des Premières Nations au fil des siècles, les clichés sur les « Peaux Rouges » véhiculés par Hollywood ou encore le programme d’assimilation, Tommy Orange explore à travers le destin de douze hommes et femmes de tous les âges ce que signifie être un natif américain aujourd’hui.

« Nous amener en ville devait être la nécessaire étape finale de notre assimilation, l’absorption, l’effacement, l’achèvement de cinq cents ans de campagne génocidaire. Mais la ville nous a renouvelés, et nous nous la sommes appropriées. »

Tantôt à la première, tantôt à la troisième personne du singulier, il raconte les rêves déçus, les destins broyés, les vies fauchées. Ployant sous la perte des repères identitaires, sa communauté est gangrenée par la misère, l’alcoolisme, la drogue, le suicide et la violence. Un petit espoir -bien que clairement insuffisant- subsiste toutefois grâce à l’organisation d’événements culturels et à la gestion de structures communautaires visant à offrir une écoute, un appui, un peu de force à celles et ceux qui en ont besoin afin qu’ils puissent se sentir un peu moins seuls, un peu moins transparents. Pour qu’ils puissent arrêter de mourir. De disparaître. De rétrécir.

« Nous sommes l’ensemble des souvenirs que nous avons oubliés, qui vivent en nous, que nous sentons, qui nous font chanter et danser et prier comme nous le faisons, des sentiments tirés de souvenirs qui se réveillent ou éclosent sans crier gare dans nos vies, comme une tache de sang imbibe la couverture à cause d’une blessure faite par une balle qu’un homme nous tire dans le dos pour récupérer nos cheveux, notre tête, une prime, ou simplement pour se débarrasser de nous. »

C’est précisément autour de l’organisation d’un grand rassemblement culturel communautaire, le Grand Pow-Wow d’Oakland, que s’articule le roman. Bien que les douze personnages, dont les voix se répondent et les destins s’entrecroisent, gravitent tous plus ou moins directement autour de cet événement majeur, l’importance qu’ils lui accordent varie selon le vécu et les attentes de chacun. Leur simple présence sur place marque toutefois le point culminant d’une histoire commune tragique.

Un premier roman remarquable. Douloureusement magnifique.

Note : 4.5 sur 5.

Lecture commune avec Ingrid et Alexandra.

Albin Michel, août 2019, 332 pages.

There, There (2018)

Traduit de l’anglais
par Stéphane Roques


© Image by Pixabay
Lire (sur) les minorités ethniques
9ème lecture

14 réflexions au sujet de “Ici n’est plus ici · Tommy Orange”

  1. J’ai été moi aussi complètement conquise, alors que des bémols lus à son sujet (notamment concernant sa construction) m’avait rendue un peu circonspecte. J’ai justement apprécié cette polyphonie qui donne au texte une immense énergie, et finit par constituer une sorte de portrait collectif, et en même temps divers.
    Merci pour la LC !

    J’aime

    1. La structure est pour moi vraiment le point fort de ce roman. Et dire que j’avais comme toi des a priori, craignant notamment de me retrouver face à une sorte de recueil de nouvelles présentant des parcours de vie sans aucun lien entre eux. Un roman brillant!

      (J’ai réalisé que notre première LC de l’année thématique (« Betty ») nous avait également menées aux USA. Heureuse de conclure sur une si bonne lecture, merci!)

      J’aime

    1. J’avais quelques craintes concernant la structure et finalement cette dernière s’est révélée être le point fort du roman. J’espère que ta deuxième tentative sera la bonne. Et si non, ce n’est pas grave non plus…

      J’aime

  2. Je vous ai rejoint in extremis pour cette lecture commune et je ne le regrette pas. Le sujet me tentait de toute façon. C’est vrai que j’ai été un peu perturbée par la construction narrative mais j’ai fini par entrer complètement dans l’histoire. Une belle découverte !

    J’aime

Laisser un commentaire