Dans le nu de la vie · Jean Hatzfeld

Après Rwanda, Assassins sans frontières (2023), une enquête fleuve toute récente dans laquelle la journaliste britannique Michela Wrong se penchait sur le régime du président Paul Kagame, j’ai souhaité lire un ensemble de témoignages recueillis par le journaliste, reporter de guerre et écrivain français Jean Hatzfeld peu de temps après la fin du génocide au Rwanda.

Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais (2000) est le premier volet d’un tryptique composé également de Une saison de machettes (2003) et La stratégie des antilopes (2007) que Jean Hatzfeld (1949) a consacré au génocide des Tutsi du Rwanda. Ces trois livres n’ont pas pour objectif de présenter une énième analyse du génocide mais de donner successivement la parole à celles et ceux qui l’ont vécu: les rescapés tutsi dans Dans le nu de la vie et les tueurs hutu dans Une saison de machettes.

Ayant constaté un déséquilibre dans la manière dont les journalistes étrangers rapportaient les informations après la prise victorieuse de Kigali par le FPR (Front patritotique rwandais) en juillet 1994, Jean Hatzfeld a jugé important de redonner une place centrale à celles et ceux qui avaient réchappé aux massacres et semblaient invisibilisés par des journalistes étrangers davantage intéressés par l’exode massif vers la RDC voisine des dizaines de milliers de Hutu craignant les représailles du FPR dorénavant aux commandes du pays.

Dans le nu de la vie (2000) s’articule autour des témoignages de quatorze rescapés tutsi -hommes et femmes, jeunes et moins jeunes- qu’il a recueillis lors de plusieurs voyages effectués au fil des ans dans la commune de Nyamata au sud de Kigali. Nyamata, dans la ŕégion du Bugesera, s’étend sur quinze collines et est bordée de forêts et de marais dans lesquels se sont cachés pendant des semaines les Tutsi tentant de réchapper aux massacres. A Nyamata, entre le 11 avril et le 14 mai 1994, environ cinquante mille Tutsi sur une population d’environ cinquante neuf mille ont été « coupés ». Massacrés à la machette.

Le livre est composé de quatorze parties, chacune étant consacrée au témoignage d’un homme, d’une femme ou d’un adolescent dont les paroles et les souvenirs sont rapportés à la première personne du singulier. Chaque témoignage est précédé d’une partie plus littéraire dans laquelle Jean Hatzfeld raconte Nyamata et ses habitants tels qu’il les voit au moment de ses voyages sur place. Enfin, quatorze photos en noir et blanc représentant les témoins enrichissent le livre.

De ces témoignages glaçants et d’une tristesse infinie racontant l’indicible, l’inimaginable, l’inhumanité la plus abjecte, ressortent l’incompréhension face à un tel déchaînement de haine et de barbarie, l’incompréhension face au silence assourdissant de la communauté internationale qui a laissé faire sans broncher, la difficulté de se relever et de continuer à vivre après avoir subi le pire.

A lire. Pour ne jamais oublier.

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Lecture commune avec Ingannmic dans le cadre des Cent jours au Pays des mille collines

Seuil, octobre 2000.
234 pages




© Sascha Fritz / Pixabay

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2ème lecture dans le cadre de
« Cent jours au Pays des mille collines »

11 commentaires sur “Dans le nu de la vie · Jean Hatzfeld”

  1. Il suffit de consulter la page Wikipédia consacrée aux génocides pour constater que le 20ème siècle en détient le triste record (mais le 21ème siècle ne fait que débuter). On peut en tirer plein de questions sur l’évolution humaine ou sur l’origine de sa cruauté. Pour ma part, je n’ai pas beaucoup de réponses à apporter. Le sujet est trop vaste et tellement perturbant.

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  2. Les génocides ont la peau dure… Je ne comprendrai jamais comment des êtres humains peuvent ainsi déterminer que telle « sorte » d’autre être humain doit systématiquement être exterminé. Mais, hélas, le « plus jamais ça » ne fonctionne pas. On sait, mais ça continue. les exterminateurs et les exterminés changent mais l’extermination perdure et c’est à en désespérer de l’humanité…

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  3. Je sais qu’il faut le lire, je comprends bien, mais j’avoue que je ne peux pas… J’ai un roman sur ce génocide que je ne réussis pas à ouvrir, alors des témoignages…
    Il y a quelque chose qui ne va pas chez l’être humain pour qu’il mette en œuvre de telles horreurs !

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  4. Comme beaucoup, je ne me sens pas encore prête pour lire des témoignages aussi glaçants, mais c’est en effet important de ne pas oublier ce génocide et d’entendre celles et ceux qui ont été touchés directement par cette tragédie.

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  5. Je te remercie pour cette LC et cette activité, qui m’ont permis de trouver le courage de sortir cet ouvrage de ma pile. Ayant lu Une saison de machettes il y a quelques années, j’appréhendais… mais je crois qu’il est très important d’écouter la parole de ces survivants, même si c’est douloureux.

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  6. Le travail de Hartzfeld est remarquable, je l’ai entendu en parler et j’avais été saisie par la profondeur et la justesse de ses propos. J’avais immédiatement acheté les deux premiers titres de la trilogie. J’ai plusieurs fois tenté de les lire. Je n’y suis jamais arrivée. Mais je n’ai pas oublié.

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  7. J’ai entendu pas mal de fois l’auteur en interview à la radio et je le trouve très intéressant et clair dans sa démarche, mais je ne me sens pas le courage de me lancer dans la lecture.

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  8. en cherchant des livres, je suis tombée sur celui-ci, je ne l’ai pas lu mais ton billet rappelle une nouvelle fois l’horreur du génocide. Je suis revenue de Berlin et le Musée Juif nous laisse aussi à terre…

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