Dette d’oxygène · Toine Heijmans

Après un début d’ascension un brin laborieux, Walter a parfaitement réussi à m’entraîner à sa suite dans son ultime expédition himalayenne. Jusqu’au sommet et sans oxygène.

Avec ce troisième roman après En mer (2013) et Pristina (2016), le journaliste néerlandais Toine Heijmans (1969) signe un roman captivant autour de l’amitié entre deux hommes unis par une même passion pour la haute montagne tout en menant une réflexion profonde et intelligente notamment sur le sens de la conquête effrénée des plus hauts sommets de la planète.

Depuis qu’il a abandonné ses études universitaires et quitté son (bien trop) plat pays, le narrateur néerlandais Walter Welzenbach mène une vie d’alpiniste à Chamonix. Devenu écrivain et une star de la radio et de la télévision, il décide -alors qu’il a déjà un certain âge et se sait malade- de se rendre dans l’Himalaya et de gravir un dernier sommet de huit mille mètres.

Dette d’oxygène (2023) se construit sur l’alternance entre d’une part la dernière ascension de Walter et d’autre part les souvenirs de sa vie avec Lennaert Tichy aka Lenny, son ami le plus cher qui l’a initié à la grimpe alors qu’ils n’étaient encore que deux adolescents fauchés s’entraînant à escalader des ponts à défaut de montagnes totalement inexistantes dans leur pays natal.

Au gré des chapitres désignés par des altitudes allant de 3 à 8848 mètres, les souvenirs d’une vie entière vouée à la montagne ressurgissent. Walter se remémore notamment sa rencontre avec Lenny, leur départ des Pays-Bas, leurs premières ascensions dans les Alpes tant rêvées, son apprentissage de la grimpe en utilisant « la dette d’oxygène », une technique consistant à escalader un passage clé sans respirer pour ne pas perdre l’équilibre. Il se souvient également de leur séparation. Aussi inéluctable que définitive.

« J’ai collectionné plus de sommets que d’amis et me revoilà ici, seul. »

A ces souvenirs se mêlent des réflexions existentielles sur le sens de la vie, sur l’amitié, la solitude, la mort et la maladie ainsi que sur l’évolution de l’alpinisme depuis les premières tentatives d’ascension de la terrible face nord de l’Eiger dans l’Oberland Bernois ou de l’Himalaya jusqu’à ce jour. Walter évoque la ruine et la mort et s’interroge sur l’éthique, une vaste question à laquelle tous les grands alpinistes ont été confrontés un jour ou l’autre, et la moralité de leurs exploits.

Il revient par ailleurs brièvement sur les ascensions réussies ou non de quelques grands alpinistes qui ont marqué chacun à leur façon l’histoire de l’alpinisme : entre autres George Mallory, Edmund Hillary et Tenzing Norgay, Tony Kurz et Andreas Hinterstoisser, Reinhold Messner, Tom Ballard, Walter Bonatti, Gaston Rébuffat ou encore Alison Hargreaves. Enfin, il montre comment, depuis qu’un riche Texan du nom de Dick Bass a imaginé le Seven Summits Challenge, les alpinistes sont devenus au fil des décennies rien de plus que « des collectionneurs de records ».

« L’ascension seule ne suffisait plus, celui qui voulait se démarquer sur l’Everest devait y ajouter une histoire. Un but, un record, un drame. La montée la plus rapide (huit heures et dix minutes), la descente la plus rapide (deux heures et demie, sur un snowboard), le plus jeune (treize ans), le plus âgé (quatre-vingts ans), le premier aveugle, le premier cul-de-jatte, le premier mariage. »

Une lecture montagnarde une fois de plus passionnante mêlant habilement le romanesque et la non fiction, une jolie histoire d’amitié masculine et une intéressante réflexion historique et philosophique.

Note : 4 sur 5.
Belfond, mars 2023
280 pages

Zuurstofschuld (2021)

Traduit du néerlandais
par Françoise Antoine



© Thomas Staub, Pixabay

Lecture commune avec Je lis, je blogue avec laquelle je me réjouis déjà de repartir en haute montagne à la fin juillet.

L’alpinisme et la haute montagne sur le blog : Alpinistes de Mao (2023), Alpinistes de Staline (2020), Une histoire de l’Everest (2023), Raide vivant (2020).

24 réflexions au sujet de “Dette d’oxygène · Toine Heijmans”

  1. J’aime beaucoup la littérature montagnarde. Je m’empresse donc de noter ce titre qui fait bien envie, jusque dans son regard semble-t-ilun peu désabusé sur ce qu’est devenu la montagne avec le règne de l’argent roi et la course aux records.

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    1. C’est une littérature vraiment passionnante qui a le don de me faire tout oublier, je ne m’en lasse pas. Si tu as envie de rejoindre notre cordée franco-suisse, n’hésite surtout pas. Alexandra et moi partons à l’assaut du Mont-Blanc le 27 juillet avec « Une ascension » de Pauline Desnuelles.

      Entre la course aux records parfois vraiment farfelus (Jean-Michelin Asselin en parle aussi plus en détails dans son « Une histoire de l’Everest) et les expéditions commerciales résultant en de dangereux embouteillages à plus de 8500 mètres, il montre bien comment l’alpinisme a évolué au fil des décennies. J’ai beau en être consciente depuis que j’ai commencé à m’intéresser au sujet au siècle dernier, chaque auteur a sa façon bien à lui d’aborder ces thématiques, je ne m’en lasse pas.

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  2. Comme je le disais chez Je lis je blogue, j’ai fait une tentative de lecture pour vous rejoindre, mais je n’ai pas accroché au style. Je n’ai lu que quelques pages, ce n’était sans doute pas le moment. Je crois aussi que je n’avais pas envie de lire une histoire d’hommes…

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    1. Je comprends, j’ai moi aussi éprouvé quelques difficultés à me plonger dans cette lecture. Heureusement, j’ai pris le rythme au bout d’une trentaine de pages. Je sais que tu préfères la non fiction sur cette thématique mais je profite tout de même de l’occasion pour t’informer de notre nouvelle LC : Une ascension de Pauline Desnuelles (27 juillet). On repartira ensuite très probablement sur de la non fiction mais on te tiendra de toutes façons au courant.

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      1. Je l’avais repéré aussi, alors oui volontiers. Il n’est pas disponible à la BM mais comme il est sorti en poche, je l’achèterai. On dit mi-octobre pour la bio de Tenzing et mi-décembre pour les Népalaises? De préférence un lundi ou un jeudi si cela te convient.

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  3. Je vois que tu es aussi enthousiaste que Doudoumatous. Comme je l’écrivais chez elle, En mer, de cet auteur, ne m’a pas complètement convaincue, notamment en raison de sa brièveté. Celui-ci a l’air plus dense et plus riche en matière de thématiques. Je retiens donc !

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  4. J’avais beaucoup aimé En mer, son aspect psychologique… et le fait qu’il soit court, contrairement à Ingannmic ! 😉
    Je suis donc bien tentée par celui-ci aussi.

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  5. Je vois que tu as autant apprécié que moi cette lecture et que tu es prête aussi à repartir. J’en suis ravie ! Si d’autres lecteurs souhaitent nous rejoindre, c’est encore mieux. Dommage que Sunalee n’ait pas accroché cette fois-ci mais je crois que le prochain livre concerne une femme. On peut déjà programmer des LC pour une ou deux de tes suggestions. Les 3 livres que tu proposes m’intéressent avec une préférence (pour commencer) pour Tenzing et/ou Krakauer. Pour plus tard éventuellement, j’ai repéré Un si beau bleu par Florian Forestier et Un grand blanc sur la carte par Eric Shipton. J’ai aussi deux ouvrages dans ma PAL mais je ne suis pas sûre de la qualité de l’écriture donc je ne préfère pas de les proposer.

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  6. C’est une lecture commune réussie, et je vois qu’elle vous motive pour enchaîner (c’est votre Seven summits personnelle peut-être 😁). Je conseille En mer, mais pas tout de suite car il y a quelques points communs qui pourraient vous gêner. C’est pour cette raison que je ne me suis pas jointe à vous, je craignais d’être dans la comparaison. Mais d’ici quelques mois, je tenterai sûrement l’ascension à mon tour.

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    1. Le Seven Summits perso 😄 J’ai prévu de lire « En mer » pour le booktrip chez Fanja mais ce ne sera pas avant l’automne. Deuxième auteur néerlandais que je lis après Bakker et deuxième auteur dont j’ai maintenant envie de découvrir toute la bibliographie!

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  7. Je n’ai jamais été très montagne (et encore moins alpinisme^^), même si ici la part psychologique et réflexions semble avoir une place importante. En tout cas, cet auteur semble valoir le détour. Je vais regarder ses autres livres de plus près. En mer ne m’avait bien sûr pas échappé^^, mais je ne vais pas me limiter à la thématique maritime.

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    1. Les récits d’alpinisme ne se limitent généralement pas aux aspects purement techniques de l’alpinisme et heureusement d’ailleurs car sinon même moi qui adore la montagne, je lâcherais probablement prise 😅 Je découvre l’auteur avec ce titre mais je suis très tentée également par son livre sur la migration (Pristina) et par « En mer » évidemment. Des thématiques très différentes mais toutes très intéressantes. Affaire à suivre donc.

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  8. Autant je suis amatrice de récits de randonnées, autant je suis assez indifférente à l’alpinisme. Je ne suis pas sûre d’être captivée par ce genre de livre.

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