Le passage · Elliot Ackerman

En attendant Eden de l’auteur américain Elliot Ackerman m’avait beaucoup touchée l’année dernière. Je n’ai donc pas hésité une seconde à lire Le passage.

Avant de devenir journaliste et écrivain, Elliot Ackerman (1980) a servi huit ans dans les Forces spéciales de la marine américaine. Il est à ce jour l’auteur de quatre romans inspirés de ses missions en Afghanistan et en Irak. Le passage (2020), finaliste du National Book Award 2017, est le deuxième roman publié en français chez Gallmeister.

Ce qui m’a d’emblée frappée dans ce roman c’est la notion d’attente, de parenthèse temporelle, d’entre-deux, qui est une nouvelle fois -bien que différemment et de façon tout aussi intéressante- questionnée par l’auteur. En attendant Eden et Le passage font ainsi tous deux état d’une attente subie et non désirée, d’un laps de temps suspendu plus ou moins long avant le passage vers un ailleurs inconnu, provoquant souffrance et remise en question.

« Que la cause puisse être perdue importait peu à ses yeux, c’était peut-être même encore plus important. Il s’était battu en Irak pour son profit personnel, d’abord la citoyenneté, puis l’argent pour lui et sa soeur. Se sacrifier pour une Syrie libre, une cause qu’il savait juste, était à l’opposé de tout ce qu’il avait fait auparavant, se battre au côté des Américains pour une cause qui lui semblait injuste. »

Lorsque l’immigré irakien naturalisé américain Haris Abadi se retrouve seul aux Etats-Unis après l’installation aux Emirats Arabes Unis de sa soeur cadette pour laquelle il s’est sacrifié corps et âme, il perd tous ses repères et se retrouve totalement démuni face à l’avenir peu glorieux qui s’offre à lui. Déraciné, célibataire, occupant un poste ingrat qu’il déteste, l’ancien interprète pour l’armée américaine en Irak ressent alors un besoin immense de s’engager pour une cause qui lui permettra de se réinventer et de donner un nouveau sens à sa vie. C’est ainsi qu’il décide de rejoindre clandestinement la Syrie pour s’engager aux côtés de l’Armée de libération contre le régime de Bachar-al-Assad.

Malgré sa volonté et ses efforts, Haris semble condamné à errer à Antep, une ville turque située à proximité de la frontière syrienne. Les magouilles et les trahisons dans cette zone de non-droit sont nombreuses et le passage tant convoité reste désespérément fermé. Alors que ses illusions commencent à vaciller, il rencontre Amir et Daphne, un couple de réfugiés syriens. Le fait que Daphne veuille à tout prix retourner à Alep pour exorciser son passé suscite un regain d’espoir.

Plus que de la guerre elle-même, il est question dans Le passage de ses conséquences et des choix que l’on fait ou pas. Elliot Ackerman évoque les ravages que les conflits armés occasionnent sur la psyché des survivants et, tout en restant à distance de ses personnages, explore avec finesse l’espace temporel suspendu entre passé, présent et futur dans lequel se retrouvent prisonnières des personnes peinant à se retrouver, à avancer, traumatisées par leurs souvenirs et un deuil inachevé. Enfin, il évoque les difficultés liées à la perte d’identité, au déracinement et à l’exil.

Un roman fort. Maîtrisé et instructif.

Note : 4 sur 5.

Mon avis sur En attendant Eden est à lire ici.

Gallmeister, 320 pages, octobre 2020.

Dark at the Crossing (2017)
Trad. Janique Jouin-de Laurens


© Pixabay

6 réflexions au sujet de “Le passage · Elliot Ackerman”

  1. Fort et instructif, c’est vrai, mais détaché selon moi… l’auteur instaure une distance entre le lecteur et son roman, entre nous et ses personnages et, si c’est peut-être le seul moyen pour lui de parler des zones de combats qu’il a connues, cela dessert le livre à mon sens.

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  2. Il est vrai qu’une implication émotionnelle est ici difficile, j’ai comme toi ressenti cette distance entre les personnages et le lecteur. Après, je ne trouve pas que cela desserve forcément le livre. Comme tu le soulignes, il a connu les zones de combats de très près et ce pendant des années, cela a sans aucun doute influencé sa façon de relater les faits. Et puis n’oublions pas qu’il est également journaliste, un métier qui demande un certain détachement dans la retranscription des faits. Je pense qu’il est important de garder ces éléments à l’esprit en abordant ses romans.
    Qu’as-tu pensé de « En attendant Eden »?

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    1. Tout à fait. Certains lecteurs le lui avaient d’ailleurs reproché. Si on compare « En attendant Eden » avec « Ballade pour Leroy » de Willy Vlautin par exemple, qui aborde lui aussi cette thématique, on n’est clairement pas dans le même registre. Mais les deux auteurs ont des parcours de vie différents et je pense qu’il faut en tenir compte. Pour ma part, j’ai été, de façon différente, bouleversée et marquée par les deux. Il me reste à lire sur ce sujet « Sale boulot » de Larry Brown.

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