Lorsque je repère un roman écrit par un/une journaliste, je ne résiste généralement pas longtemps. Au printemps on coupe les ailes des oiseaux (2022) est un roman inspiré de l’histoire égyptienne récente à côté duquel je ne voulais pas passer.
Marion Guénard, ancienne correspondante française au Caire, revient dans son premier roman sur le printemps arabe et ses conséquences sur la société égyptienne dix ans après la Révolution du 25 janvier 2011.
« Ils avaient fait tomber un tyran que personne avant eux n’avait réussi à mettre à terre. Leur avenir, celui du pays, était un champ de fleurs sauvages, une friche à cultiver avec amour et justice. Il y avait bien quelques pierres ici et là mais la terre était fertile comme celle de l’Egypte, enrichie pendant des siècles du limon du Nil. Ils pensaient qu’ils changeraient le cours des choses, la nature du pays. Ils avaient fait fausse route. »
Que reste-t-il de la Révolution une décennie après les manifestations de masse sur la place Tahrir qui avaient abouti, au prix effroyable de près de neuf cents morts et de plusieurs milliers d’arrestations, à la destitution de Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trente ans? C’est ce que s’attache à démontrer Marion Guénard en nous emmenant sur les traces de plusieurs protagonistes ayant activement participé à la contestation anti-Moubarak et qui, dix ans après, ploient sous de nombreuses difficultés et ne gèrent que très difficilement un quotidien marqué par les violences sociales, économiques et politiques.
Si la destitution de Hosni Moubarak et les premières élections démocratiques ayant conduit à la nomination de Mohamed Morsi à la présidence du pays en 2012 ont suscité d’immenses espoirs, la démocratie tant espérée n’a à ce jour toujours pas été instaurée. Depuis le coup d’Etat en juillet 2013 et l’accession à la présidence du Maréchal al-Sissi en 2014, le pays est en effet gouverné d’une main de fer par ce dernier qui a mis en place un « régime qui anesthésie les consciences », caractérisé par de nombreuses violations des droits humains et une répression féroce contre les dissidents.
Kaouthar avait vingt ans lorsque la Révolution éclata. Comme des milliers de manifestants épris de liberté et de démocratie, elle a manifesté sur la place emblématique du Caire. Aujourd’hui, les rêves de cette cairote trentenaire et mère d’un petit garçon de huit ans sont brisés et elle survit sans éclat, résignée, aux côtés d’un mari qu’elle ne reconnaît plus, devenu apathique à force de désillusions. Son quotidien difficile est rythmé par son travail de sage-femme et ses visites à son frère incarcéré arbitrairement depuis des années dans une prison de haute sécurité. A l’approche de la commémoration des dix ans de la Révolution, une petite étincelle jaillit, un soupçon d’espoir renaît pourtant.
Parallèlement, à Paris, une brillante avocate française d’origine égyptienne remet toute son existence en cause lorsque son mari découvre les carnets qu’elle a écrits d’une plume rageuse et excessive alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente à la fin des années 1990. Cette découverte réveille chez Mariam non seulement des souvenirs depuis longtemps enfouis mais également et surtout une douloureuse prise de conscience qui la poussera à prendre une décision aussi radicale que totalement inattendue.
Au printemps on coupe les ailes des oiseaux est un roman poignant, captivant et bien documenté que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt. Si je me suis parfois interrogée sur la pertinence de l’histoire de Mariam qui m’a paru insuffisamment creusée, le roman a le grand mérite d’éclairer le drame du peuple égyptien en revenant sur un tournant politique majeur de l’histoire nationale récente.
Ce premier roman de Marion Guénard est un bel hommage à toutes celles et ceux qui, forts de leurs idéaux et de leurs rêves de liberté et de démocratie, continuent de lutter malgré la peur, la violence et la répression. A découvrir.

oh je le note si je le vois en bibli ! Oui, je pense aussi aux autres pays arabes qui ont connu une « révolution » mais dont rien de bon n’est ressorti depuis…
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Plus de 10 ans déjà et certaines ébauches de révolutions n’aboutissent qu’à un semblant de démocratie… Il est bien de temps en temps de le rappeler 🙂
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on avait tant espéré des « printemps arabes » hélas, que de souffrances depuis, les dictateurs ont le vent en poupe encore et encore..
Je le note pour plus tard 🙂
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