Un rêve, deux rives · Nadia Henni-Moulaï

Le récit de Nadia Henni-Moulaï s’inscrit dans la continuité des mes lectures autour de l’histoire de l’Algérie et de thématiques qui me sont chères: l’exil, le déracinement et la quête identitaire.

Dix ans après son premier livre, 1954-1962 – la guerre d’Algérie (2011), la journaliste free-lance Nadia Henni-Moulaï (1979) publie Un rêve, deux rives (2021), un récit intime bouleversant dans lequel elle relie la petite et la grande histoire à travers la trajectoire personnelle et politique de son père.

Dans un récit non linéaire oscillant entre passé et présent, entre France et Algérie, elle remonte la vie de son père depuis sa naissance en 1925 jusqu’à son décès au début des années 2000. Père d’une fratrie de douze enfants s’étalant sur deux générations, Ahmed était un père nimbé de mystère, une « sorte de gentleman maladroit à la tendresse rugueuse », un pater familias autoritaire, soucieux d’ordre et de discipline, que sa fille ne (re)découvre véritablement que vingt ans après sa mort.

« Attendre de ses parents la perfection, c’est déjà leur enlever une part d’humanité. »

Au fur et à mesure de ses recherches dans les archives familiales et judiciaires, elle découvre que celui qu’elle ne croyait être qu’un ouvrier illettré et non qualifié, un locataire d’un HLM de la banlieue parisienne, un simple résident algérien en France, invisible et victime de racisme, était en réalité un « protagoniste de l’histoire de France », un homme qui ne courbait pas l’échine, se tenait droit et ne rasait pas les murs. Si l’intensité de sa vie et la force de son engagement politique changent le regard qu’elle porte sur son père, le portrait qu’elle brosse de lui est dénué de tout angélisme. Bien au contraire.

« Cette trajectoire d’un colonisé enfiévré par la vie parisienne, par l’alcool, les femmes, ce roman d’un homme de main du FLN, Algérien libre, violent, ouvrier ordinaire, père torturé, époux coriace, charrie toute la complexité de l’Histoire. De mon histoire. Et si ses actes, commis sur le sentier de la liberté, sont aussi le prix à payer pour sa dignité, je les accepte. Peut-être atténueront-ils un peu la portée de ses fautes. »

En déconstruisant le parcours singulier de son père et en montrant une autre facette de l’immigration algérienne en France, Nadia Henni-Moulaï redécouvre également sa propre histoire, son identité multiple. Alors que la cité en région parisienne dans laquelle elle est née et a grandi a toujours représenté pour elle le centre absolu de son univers, sa perception du monde qui l’entoure se modifie au fil des ans. Son univers s’agrandit sensiblement et se déplace vers l’Algérie que son père tente par tous les moyens de « faire aimer de force » à ses enfants .

« Nous sommes une famille française. Nous ne sommes pas encore une famille issue de l’immigration algérienne. Nous le deviendrons à mesure que papa emprunte son chemin de Damas. Vers Alger si je puis dire. »

Lorsqu’elle devient une transfuge de classe en intégrant la Sorbonne, elle prend douloureusement conscience de l’existence de strates sociales, de son statut de fille d’immigrés algériens, du mépris, du rejet et du racisme de la France envers ses anciennes colonies.

A la fois récit intime bouleversant sur la trajectoire personnelle et politique d’un « individu hybride, à cheval entre deux récits, deux identités et deux pays » et réflexion sur l’exil, le déracinement et l’identité, Un rêve, deux rives est un livre très intéressant que je ne peux que vous encourager à lire.

Note : 4 sur 5.
Slatkine & Cie, septembre 2021, 256 pages.

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