Une romancière italienne, une photo en noir et blanc d’une femme d’un autre temps en guise de couverture et enfin une présentation en quatrième évoquant une fresque historique de la première moitié du XXème siècle, entre épopée féminine et saga familiale : je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce livre!
Bella Ciao (2021), le deuxième roman de l’autrice italienne Raffaella Romagnolo (1971) après La Masna (2012), retrace de façon très réaliste et immersive un demi-siècle d’histoire italienne à travers la trajectoire de deux femmes que la vie a éloignées pendant plus de quatre décennies.
« La vie c’est avancer, et sans passé, on avance, on vit. Elle, elle a su vivre. Mais mourir, est-ce qu’elle est prête? Pas la mort par traîtrise, qui vous emporte en un éclair. La mort à laquelle pense Mrs Giulia Masca est celle à laquelle on se prépare, qu’on apprivoise, pour composer avec elle. Est-ce qu’on peut solder les comptes, est-ce qu’on peut mourir en paix, sans faire la paix avec son passé? »
En mars 1946, quarante-cinq ans après avoir quitté sur un coup de tête et dans le plus grand secret son village natal pour embarquer sur un paquebot à destination de New York, Mrs Giulia Masca revient dans son petit village du Piémont, dans une Italie qui peine à se relever de la Deuxième Guerre mondiale. La jeune femme très pauvre qui avait traversé l’océan seule et enceinte, sans aucune certitude quant à son avenir, est désormais une femme riche. C’est dans une luxueuse voiture avec chauffeur, accompagnée de son fils Michael, que la sexagénaire sillonne la région et retrouve Borgo di Dentro et les personnes qu’elle a connues dans sa jeunesse.
S’il lui semble tout d’abord que rien n’a changé, « comme si le temps n’avait pas pris le temps de passer par ici », elle doit se rendre à l’évidence qu’elle est devenue une étrangère. Gravement malade et ne disposant plus de beaucoup de temps, elle est désormais prête à affronter son passé pour trouver enfin la paix. Pour se faire, il lui faut aller sur la tombe de sa mère et revoir Anita Leone, sa meilleure amie qui l’a trahie quatre décennies plus tôt.
Ses impressions sur son retour en Italie s’entremêlent avec ses souvenirs d’enfance, sa fuite, son arrivée et sa reconstruction à New York et enfin avec ses réflexions sur le passé et le temps. Tout comme Giulia qui comprend que « le temps n’est pas une route droite qui mène plus loin, mais qu’il est flexible comme un ruban, qu’il s’enroule sur lui-même », Raffaella Romagnolo joue avec le temps en usant d’une trame temporelle et narrative singulière, mouvante, parfois floue et comportant des ellipses. Bella Ciao s’articule ainsi autour de trois parties, trois livres, contenant de très longs chapitres à l’intérieur desquels l’autrice alterne, sans aucun préavis, les époques, les lieux et les personnages. Bien que cette façon de procéder puisse dérouter, l’écriture reste toujours maîtrisée, l’atmosphère très réaliste.
Bella Ciao est un long et beau voyage historique, social et politique, un aller-retour entre le Piémont et New York au centre duquel évoluent deux femmes fortes ayant survécu, chacune à leur façon, aux nombreuses embûches que la vie a placées sur leur chemin. Si Giulia a quitté l’Europe pour les Etats-Unis dans des conditions très difficiles, elle a par la suite vécu son rêve américain, contrairement à Anita que les souffrances et la mort n’ont pas épargnée.
Raffaella Romagnolo inscrit son roman dans un cadre de luttes ouvrières et aborde avec beaucoup de réalisme les réalités sociales et politiques inhérentes à cette époque, que ce soit à New York ou dans le Piémont. Il est ainsi à la fois question de la condition des immigrés italiens à New York au tout début du XXème siècle, de la pauvreté et du taux très élevé d’analphabétisme qui caractérise cette communauté et choque tant Giulia lorsqu’elle arrive aux Etats-Unis et de la difficile condition des Italiens qui, en Europe, ont traversé deux guerres mondiales et vécu le fascisme et la guerre des partisans.
Bella Ciao est un roman bien écrit, riche et intéressant que je pense relire dans le futur. Une belle découverte et une autrice à suivre.

Destino (2018)
Trad. Françoise Brun
Photo © Pixabay
Tu évoques surtout le personnage de Giulia qui semble donc être le personnage le plus marquant et Anita celle à découvrir…. 🙂
J’aimeJ’aime
La structure narrative est particulière et le roman riche, ce n’est pas évident d’en parler… J’ai donc choisi la facilité en évoquant uniquement Giulia puisque le roman commence avec elle (même si elle n’est pas forcément le personnage le plus marquant), et de laisser la surprise entière sur Anita et les autres 🙂
J’aimeJ’aime