Témoin de la nuit · Kishwar Desai

Ce premier polar engagé dénonçant la condition des femmes en Inde fut une très bonne surprise.

Témoin de la nuit (2013) de la journaliste et romancière indienne Kishwar Desai (1956) est le premier volet d’une série policière très réaliste et engagée mettant en scène une travailleuse sociale bénévole expérimentée dans le soutien aux femmes incarcérées.

Suite à l’appel d’un vieil ami aujourd’hui commissaire divisionnaire au Punjab, Simran Singh quitte New Delhi où elle vit depuis de nombreuses années pour retourner quelques temps à Jullundur, sa ville natale dans le Punjab. Forte de sa longue expérience professionnelle dans les prisons de la capitale, elle doit livrer à la police locale une expertise psychiatrique dans le cadre d’une sombre histoire de meurtres impliquant une adolescente de quatorze ans. Durga Atwal est la seule survivante d’un massacre familial ayant fait treize victimes et devient donc tout naturellement la principale suspecte. L’adolescente mutique et traumatisée étant enfin sortie de l’hôpital où elle a passé les trois derniers mois, Simran Singh est désormais chargée de recueillir son témoignage et ses aveux. Mais elle ne croit pas à sa culpabilité.

Témoin de la nuit se construit sur une alternance de points de vue et de formes narratives : une narration classique à la première personne du singulier retranscrivant l’enquête de Simran, des extraits du journal intime de Durga et enfin des échanges d’e-mails entre Simran et Binny, la belle-soeur de Durga habitant en Angleterre. Cette façon de procéder permet à l’autrice d’une part d’aborder plusieurs thématiques liées aux nombreuses violations des droits des femmes en Inde et d’autre part de dévoiler progressivement les dessous d’une affaire criminelle qui se révèle bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. Il devient en effet rapidement clair que derrière la façade de respectabilité affichée par la famille Atwal, une famille sikh issue de la haute société punjabi, pieuse et très attachée aux traditions, se cachait une toute autre réalité, nettement moins avouable, extrêmement violente et absolument terrifiante.

« A peine nées, on nous a sauvées de la mort pour nous faire vivre un véritable enfer. »

Témoin de la nuit est un roman glaçant et révoltant qui se déroule en 2007 dans une région qui commence tout juste à se relever après des années de terrorisme. Kishwar Desai y dénonce avec véhémence la face sombre « d’un pays dans lequel le simple fait d’être une fille signifie une condamnation à mort » et met en exergue les pratiques archaïques qui coûtent aujourd’hui encore la vie à de très nombreuses femmes et fillettes en Inde.

Simran Singh est un personnage principal haut en couleur qui de par son indépendance et ses choix de vie détonne de façon plutôt désagréable dans la société indienne, et tout particulièrement dans les provinces reculées et conservatrices. Fumeuse et buveuse invétérée (un scandale), elle est à quarante-cinq ans toujours célibataire (un autre scandale), au grand dam de sa mère qui désespère d’avoir un jour des petits-enfants. Cette dernière a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et de publier des petites annonces dans les journaux afin de trouver enfin un mari à sa fille.

Très engagée et audacieuse, Simran a renoncé à devenir avocate pour défendre « les droits de millions de gens opprimés, sans voix, sans visage, sans nom et bien souvent innocents ». En choisissant délibérément de travailler à son compte et ainsi rester le plus loin possible de toute influence gouvernementale, elle peut « railler les rouages d’une administration sans cervelle » et dénoncer la corruption dans les plus hautes sphères de l’Etat. Bien évidemment, elle met toujours son grain de sel là où elle ne devrait pas. Un personnage savoureux!

Bien plus qu’un simple polar, Témoin de la nuit est un pamphlet contre les violences faites aux femmes que je vous encourage à découvrir, malgré la thématique difficile. Quant à moi, je me réjouis déjà grandement de lire les deux enquêtes suivantes de Simran, à savoir Les origines de l’amour (2014) qui se penche sur la problématique de la gestation pour autrui et La mer d’innocence (2015) qui aborde la disparition inexpliquée de touristes, le trafic de drogue et la mafia.

Note : 4 sur 5.
L’Aube, octobre 2019, 328 pages.

Witness The Night (2010)
Trad. Benoîte Dauvergne

Laisser un commentaire